dimanche 21 janvier 2007

Martial Cherrier


Martial Cherrier
Fly or Die
Du 10 janvier au 4 mars 2007
A la Maison Européenne de la Photographie




Mathew Barney, lui aussi a été bodybuilder. Et son passé de culturiste donne quelques clés pour comprendre l’esthétique si particulière et dérangeante de ses œuvres. Mathew Barney, Martial Cherrier, body builders et plasticiens. Mais oui, normal. Référence au body art et même à l’art charnel d’Orlan parce que Cherrier passe lui aussi par la chirurgie esthétique, étape ultime de la gonflette. Martial Cherrier, donc, reflet de notre société actuelle qui prône le culte du corps. Tout s’enchaîne, c’est si logique.

M’enfin, non. Il y a quelque chose de nouveau chez Cherrier qui m’intrigue, quelque chose qui va au-delà de l’ambiguïté sexuelle de Barney, qui me semble plus frais et pas seulement parce que les moyens plastiques mis en œuvre sont plus sobres. Et puis non, on est loin d’Orlan, mamie ringarde aux pommettes frontales en bombe à eau.De ce que l’on peut voir dans cette petite exposition consacrée à Cherrier à la MEP, je passe donc rapidement sur les premières vidéos : injection de drogue dans d’énormes biceps, pilules tutti frutti pour devenir musclor s’enchaînent dans un montage accéléré. Et là je veux bien y voir une référence au body art. Sculpter son corps, devenir sculpture, le corps scientifique… voilà le discours, passons.



Au fond, dans la petite salle après la cafeteria, elles sont là, ces boîtes dans lesquelles Cherrier a épinglé des photos de lui superposées sur des ailes de papillons. Cherrier est musculeux et huilés, il prend la pose, les papillons sont grands et colorés, le tout est présenté à hauteur d’yeux comme dans un museum d’histoire naturelle. Il y a d’emblée quelque chose qui m’attire dans la petitesse qu’a ce corps certes fort, bronzé et huilé, quelque chose de ridicule. Un humour léger, presque, presque de la poésie. A ne pas manquer ce montage photo : vous connaissez bien ces poses qui visent à faire ressortir la musculature : les muscles des bars contractés au-devant du buste, les poings serrés et les pectoraux qui clignotent par tant de tension puis les bras les bras levés, coudes repliés les poings derrière la tête ; ces deux poses épinglées avec des ailes de papillon s’enchaînent et miment ainsi l’envol du papillon.
Comment plastiquement associer deux pratiques ringardes : le culturisme et la papillonophilie (quel est le mot exact?) pour donner un sens nouveau ?




Il y a bien sûr cette idée de la métamorphose qui va au-delà de l’opposition que l’on pourrait faire entre la fragilité du papillon et la force gonflée du bodybuilder.
Là où Barney me fait peur parce que c’est simplement trop, Cherrier m’intrigue parce qu’il semble vivre sur la même planète que moi, que j’aime sa manière de penser. Champion de France de bodybuilding en 1997, c’est la date la plus récente qui nous est donnée concernant son activité culturiste. Est-ce qu’il l’est toujours ? A-t-il toujours été plasticien et bodybuilder ? Cette pensée m’intrigue alors que dans un autre cas, elle aurait tout aussi bien pu me dégoûter. Le bodybuilding est une pratique bien éloignée du monde intellectuel de l’art et Cherrier ne semble pas avoir choisi cette activité par provocation intellectuelle. Il ne vit pas en spectateur de son corps, sculpture artistique, il l’est. Martial Cherrier, ce n’est pas du vent et ce n’est pas non plus un fou.

photos provenant du site de la mep

vendredi 5 janvier 2007

Du phénomène de la bibliothèque

Du phénomène de la bibiothèque
de Joseph Kosuth
du 27 oct au 23 dec 2006
Galerie Almine Rech, Paris



Book Cell
de Matej Krén
du 19 juil au 31 dec 2006
CAMJAP, Lisbonne








Chercher des yeux…à tâtons… La tête de travers, déchiffrer les tranches… Rebondir d’un titre sur l’autre, soulever quelques piles, et retrouver des trésors perdus derrière lesdites piles. Puis piocher, au hasard. L’ouvrir, faire défiler ses pages, le renifler, en lire quelques lignes.
Une bibliothèque. Post-its, marque-pages, annotations et croquis au crayon les jours de prudence mais parfois au stylo et même au surligneur fluo …marques d’appropriation qui peuvent en dire long sur leur lectrice (c’est peut-être pour ça qu’elle garde jalousement ses livres, who knows ?).



Les deux expositions qui m’ont amenée à faire cette petite digression sont malheureusement terminées. La première, du phénomène de la bibliothèque était une installation de Joseph Kosuth (40 ans d’art conceptuel à son actif le Joseph) à la galerie Almine Rech. Etaient présentés sur les murs de la galerie, des panneaux de verre sur lesquels étaient imprimées des photos de bibliothèque auxquelles étaient adjointes des citations de célèbres écrivains. Pour accéder aux-dits panneaux, le visiteur déambulait le long d’un passage laissé libre par des par-terres recouverts de livre, ceux-ci fournissant donc le contexte « bibliothèque » aux œuvres sur panneau.

La deuxième, Book Cell de Matej Krén est encore une installation mais cette fois-ci à Lisbonne dans le Hall du CAMJAP (Centre d’art moderne de la fondation Calouste Gulbenkian). Sur un plan hexagonal, sont empilés des livres à l’horizontal de manière à former une cellule close sur elle-même. Le visiteur est invité à pénétrer à l’intérieur de la-dite cellule et à la traverser en suivant un passage lumineux. Cette bande que constitue le passage divise le plan de la cellule en deux. De part et d’autre de cette bande, des miroirs réfléchissent à l’infini les tranches colorées des livres empilés non sans provoquer un certain vertige.


L’une est grise (comme la matière, en référence à la précédente exposition de Kosuth chez Almine Rech, celle où j’avais été surprise par une œuvre de Tino Seghal), l’autre est colorée (constituée des ouvrages édités par le CAMJAP depuis 50 ans, ils seront d’ailleurs remis en vente après démontage de l’installation). Pouin pouin pouin, ce serait tentant de continuer de comparer point par point ces deux installations mais sûrement rébarbatif pour le lecteur qui n’en aurait pas fait l’expérience. Inutile aussi de refaire une analyse de Kosuth et de la désignation de l’art, tout a déjà été dit et je ne comptais pas parler de l’expo chez Almine Rech avant d’avoir vu Book Cell à Lisbonne . Car si l’on comprend très bien en suivant le cheminement de Kosuth comment il peut en arriver à utiliser le livre comme matériau, lui qui joue avec la matière du langage, il semble que cet aspect linguistique de son travail se rencontre avec quelque chose de plus général qui me semble être dans l’air du temps, et ce, justement en regard de l’installation de Krén : la bibliothèque (à moins que ce ne soit qu’une obsession personnelle grandissante…).

Une bibliothèque a ceci d’impressionnant qu’elle contient en très peu de place un temps infini de mots. C’est le point de départ d’un grand nombre de voyage. Les livres s’additionnent, s’empilent un à un mais leur contenu est exponentiel (effet accentué par les miroirs dans l’installation de Krén). Chaque livre marque une rencontre avec son lecteur, rencontre parfois idéalisée, parfois manquée. Quel doux vertige que le choix d’un livre face à une bibliothèque ! Chaque livre représente un possible et leur mise à égalité sur l’étagère prodigue une certaine liberté.

Les livres de Book Cell étaient trop bien empilés pour qu’on ait pu en retirer un seul sans tout faire tomber, j’ai même pensé qu’ils étaient collés mais hypothèse a priori impossible étant donné qu’ils seront remis à la vente par la suite. Mais ceux du phénomène de la bibliothèque étaient simplement étalés par-terre sans colle… je n’ai malheureusement pas été chiche d’en prendre un même si après réflexion, je ne pense pas que cela aurait enlevé beaucoup à l’œuvre (non pas le fait que moi, juste moi, je prenne un bouquin en le cachant sous mon manteau mais plutôt que les livres soient disposés à cet effet) étant donné qu’ils semblaient presque tous être d’occasion et vu le nombre de doubles, je doute fort qu’ils aient appartenus à une bibliothèque particulière. Bref tant pis…

du phénomène de la bibliothèque, photo provenant du site de paris art, courtesy galerie almine rech

book cell, photos personnelles