samedi 29 juillet 2006

New York New York


New york New york
Cinquante ans d’Art, Architecture, Cinéma, Performance, Photographie et Vidéo
Au Grimaldi Forum
A Monaco

« Star spreading the news, I’m leaving today, I wanna be a part of it, in old New York (…) If I can make it there, I’ll make it anywhere, it’s up to you, New York, New York!» (parce que vous savez que je l’aime cette chanson)

Après la grande exposition Super Warhol organisée en 2003, Monaco, la ville où mêmes les mamies font leur marché en robe de soirée, remet le couvert et accueille cet été pas moins de cinquante ans d’art à New York . Vaste programme.


Après la deuxième guerre mondiale, New York accueille en son sein les avant-gardes artistiques et devient capitale artistique mondiale supplantant ainsi Paris. L’exposition présente ces cinquante ans (plutôt soixante en réalité) de manière chronologique en respectant les mouvements: on y voit donc de l’action painting, de l’expressionisme abstrait, du pop art, du minimalisme et de l’art conceptuel. La présentation des 25 dernières années s’avère plus subjective à cause des fortes individualités artistiques.

La grande force de cette exposition est de présenter des œuvres très représentatives de chaque artiste. Ainsi, on peut voir entre autres la Marylin sur fond rouge de Warhol, le Monument 12 for V. Tatlin de Dan Flavin, la petite fille qui pleure de Diane Arbus, le I shop therefore I am de Barbara Kruger, le Zydeco de Basquiat… La liste est non-exhaustive. Aussi, vous n’avez pas cette frustation de reconnaître l’artiste tout en pensant que vous auriez souhaité voir une autre de ses œuvres. Il n’y a pas cette rencontre manquée.

Je suis restée longuement devant les deux Rothko présentés en vis-à-vis avec une grande toile de Morris Louis qui n’est malheureusement pas reproduite dans le catalogue.
J’ai beaucoup tourné autour d’un grand monochrome noir de Ad Reinhardt, pas si monochrome que ça et terriblement iradiant avec ces reflets bleux par endroits notamment sur la tranche.
J’ai fait des allers-retours entre les salles toutes les deux minutes pour ne pas louper la vidéo de Hans Namuth sur Pollock at work. Et encore arrivée au mauvais moment, j’ai du faire la même chose pour voir walking on walls de Trisha Brown.
Je n’ai pas osé marcher sur les tin square de Carl Andre alors qu’à Beaubourg, j’ai même pas peur mais à Monaco, tout est tellement différent.
J’ai eu mal aux yeux devant l’installation de Nam June Paik et celle de Sol Lewitt.
Je me suis amusée sur le juke-box remasterisé de Laurie Anderson, on m’a dit que j’avais le droit.
Je me les suis gelées dans la salle de Matthew Barney dans laquelle est présentée le cabinet du docteur Houdini et n’ai donc pas pu rester regarder le Cremaster 2.
J’ai observé les réactions d’un groupe de mamies monégasques devant les huit chiots String of puppies de Jeff Koons.
J’ai mangé un bonbon bleu de Felix Gonzales-Torres. Ben oui, ils sont pas spécialement bons ces bonbons mais je peux pas résister d’en gober un. Nicolas Bourriaud, si tu lis cet article, je sais, je sais, l’esthétique relationnelle!
Et à la fin, il y avait mon chouchou, John Currin avec ses femmes si allongées.


Je suis ressortie plutôt contente de cette exposition. Je ne pensais pas voir tant d’œuvres importantes. Les salles sont grandes et il y a peu de monde mais il fait peut-être un peu beaucoup très froid.
Ce qu’on peut malgré tout reprocher à cette exposition c’est le manque de parti pris, parce qu’avouez que ce n’est pas très risqué de présenter de l’art new yorkais mais on peut dire que c’est largement contrebalancé par le fait que les nombreuses œuvres sont de qualité. Oui, l’expo a du coûter une petite fortune, mais on est à Monaco, ne l’oubliez pas.
La scénographie est banale, « basée sur le plan en quadrillage de la Big Apple », banale quoi, mais, encore une fois, ce n’est pas très gênant.

En revanche, la communication est quasi inexistante, l’affiche elle-même est très minimaliste avec son dripping noir. C’est sûr que de cette manière, on évite l’aspect fourre-tout qu’aurait pu avoir ce bilan artistique mais, si on la retrouve dans les textes du catalogue, l’identité new yorkaise n’est pas apparente, elle n’est pas revendiquée. En regard, on peut penser à la récente exposition de Los Angeles à Beaubourg. L’exposition du Grimaldi Forum n’a pas cette âme mais la raison vient peut-être des artistes new yorkais eux-mêmes.
Bien que l’inventaire soit très exhaustif, on a le sentiment que l’exposition n’est qu’une occasion de voir de très grandes œuvres. Mais c’est une très belle occasion!

jeudi 27 juillet 2006

la laideur se vend mal

la laideur
se vend mal
Raymond Loewy

« Puisse le Très-Haut ouvrir enfin les yeux des Américains, mes compatriotes, afin qu’ils cessent de mettre de la mayonnaise sur des poires fraîches. Amen. »

Un petit extrait qui donne le ton de ce livre de Raymond Loewy, au cas où vous n’auriez pas déjà accroché avec le titre incisif dont je ne me lasse pas, c’est devenu un leitmotiv, eh oui, la laideur se vend mal.
Une entrée en matière plutôt négative mais ce fait est énoncé comme un constat et c’est ce constat qui est d’ores et déjà encourageant.

Raymond Loewy est français, il quitte la France pour les Etats-Unis au lendemain de guerre de 14. Le petit Raymond est curieux, ambitieux et il a de la suite dans les idées. Fasciné par la pleine expansion des modes de production américains, il s’étonne toutefois de la laideur des produits manufacturés en série. Les produits sont de qualité et en quantité mais laids. Le but des constructeurs se limite pour l’instant à ce que « ça marche ». Mais Raymond, lui, pense pouvoir améliorer l’esthétique générale de la machine tout en réduisant son coût de production et en la perfectionnant. Et avec lui, naît le métier d’esthéticien industriel.

Il regrette le manque d’imagination des fabricants. Ses idées arrivent à point nommé à l’heure où la saturation est proche. La concurrence guette alors le marché américain et Loewy compte bien y ajouter son grain de sel.
On le suit à travers des exemples concrets. Il repense aussi bien une glacière électrique comme le design des paquets de Lucky Strike. La diversité des objets sur lesquels il travaille est sans limite, son bon sens envahit les foyers américains. L’étendue des domaines sur lesquels il intervient est très large car il reste en dehors de toute entreprise, il entretient donc des rapports de conseillers face à ses clients.
Les étapes de son travail sont clairement énoncées, de l’étude du marché, au produit fini en passant par l’esquisse et la maquette. L’organisation rigoureuse dont il fait preuve liée à une extraordinaire volonté qui relève même de l’acharnement rendent compte d’un goût pour le travail bien fait où l’à peu près n’a pas lieu d’être. Loewy devient vite un homme d’affaires et son destin se transforme en success story.

Au débat sur l’harmonie entre la fonction et la forme, il est évidemment partisan de la beauté par la fonction (n’oublions pas que nous sommes dans les années 30-40-50) mais il tient à aller plus loin en énonçant : « la Beauté par la Fonction ET la Simplification ».

Tout est présenté de manière si concrète qu’on apprend réellement de façon très agréable tant le ton du livre est…rebondissant ! Il serait d’ailleurs bien difficile de le classer, est-ce une autobiographie ? un peu, oui, un traité sur le design industriel ? aussi, oui, mais c’est également une étude sociologique sur les drôles de mœurs de nos amis les Américains, un bon cours sur les techniques de ventes et vous pourrez également y retrouver les quelques recettes de cuisine préférées de monsieur Raymond Loewy ainsi qu’un petit recueil d’histoires drôles. Si, si.
Le tout agrémenté de reproductions photographiques évidemment, puis de croquis de l’auteur himself et chose que j’ai apprécié tant j’ai trouvé cela inhabituel, un mini-cours de typographie à chaque chapitre.
Loewy a marqué son temps en contribuant pour une large part à la conception de produits manufacturés outre-atlantique, mais il reste encore d’actualité tant ses idées découlent du bon sens.



mardi 4 juillet 2006

L'origine du Monde

L'Origine du Monde
Histoire d'un Tableau de Gustave Courbet
De Thierry Savatier

Petit inventaire des diverses activités de la civilisation métrolienne le matin :
Il y a ceux qui dorment encore, quelques-unes tentent de parfaire leur maquillage, d’autres écoutent de la musique, certains ne font rien, les autres lisent. Tout le monde se jauge, on regarde dans le miroir de la blonde à paillettes pour constater que le mascara bleu, décidément ce n’est plus possible, on fredonne très intérieurement la musique qui émane du casque ambulant à notre droite, on lit par-dessus l’épaule de son voisin et on tente d’établir son portrait psychologique grâce au seul titre de son livre (comment ça, vous ne faîtes pas ça ?).

Moi, je lisais l’Origine du Monde, Histoire d’un tableau de Gustave Courbet.

Avec une petite reproduction en couverture. Je l’avais acheté dans le but de mieux connaître son exégèse. J’avais quelques restes de son histoire : commandé par Khalil Bey, également possesseur du Bain Turc d’Ingres, caché par un rideau de velours rouge, il s’était trouvé dans les mains de Lacan, célèbre psychanalyste avant d’atterrir au Musée d’Orsay. Un peu rapide, non ? Mes restes du lycée. Et c’était justement ça le problème, le lycée.

Je me rendais compte au fil de la lecture que je ne savais pas comment regarder l’Origine du Monde. On me l’avait présenté vers 15-16 ans, âge auquel soit vous pouffez, soit vous feignez de ne pas être offensé, mais vous êtes rarement subjugué par sa beauté car l’œuvre vous est présentée d’un point de vue historique, le rapport que vous entretenez avec elle n’est donc pas direct. Et depuis, j’avais conservé ce point de vue historique.

Quand enfin, j’allais la voir au Musée d’Orsay, j’étais d’abord confrontée à sa petite taille. Le tableau cessait d’être une image et devenait objet et je comprenais ainsi au-delà de toute théorie qu’on ait pu le convoiter en tant qu’objet de désir. J’imaginais le rideau puis l’autre cache en bois peint en trompe-l’œil par André Masson. J’imaginais son poids, je l’imaginais dans un intérieur plus personnel que ne l’est ce grand mur.

Je n’ai pas eu l’occasion d’aller revoir l’Origine du Monde après avoir lu le livre. Mais je me souviens d’une grande toile à ses côtés, l’enterrement à Ornans ?, je sais qu’il n’est pas loin. Les regards en biais des visiteurs qui feignaient de s’intéresser à la toile voisine. Il y avait ceux qui s’insurgeaient, les pères de famille qui éloignaient leurs enfants .Il y avait aussi ceux qui s’approchaient pour franchement examiner la toile avec dans leur attitude, une sorte de provocation du genre « moi, je sais, non je ne suis pas choqué », comme si en connaissant le tableau et son histoire, ils n’avaient plus aucune barrière et pouvaient aller au-delà de la contemplation. Et bien sûr, ils en rajoutaient. Ils ne considéraient plus le tableau comme objet de désir, c’était un nu historique à examiner et leur attitude face à la toile en devenait obscène. Mais n’est-ce pas là que réside l’ignorance ? A trop vouloir faire entrer l’œuvre dans la culture, on la dénature et elle perd son sens de l’interdit.
La toile n’est pas exposée dans un espace à l’abri des regards et le visiteur qui la contemple le fait à la vue de tous. Certains, même cultivés, sont certainement gênés devant cette toile et tente d’annihiler cette sexualité affirmée en examinant la toile, en la replaçant dans un contexte historique, en pensant que leur attitude mettra une distance mais elle ne fait que mettre en évidence cette gêne et rend celle-ci obscène.
Quant à savoir si l’œuvre doit être exposée autrement, ça n’est pas de mon ressort de répondre à cette question. Simplement, en l’exposant aussi ouvertement, le musée tente de la minimiser en la mettant sur le même plan que les autres toiles de Courbet.
La lecture du livre m’a permis de comprendre les différentes positions qu’ont eu ses différents spectateurs. Je dois avouer que j’ai survolé son histoire aux alentours de la deuxième guerre mondiale, mon but n’était pas de suivre le tableau à la trace.

Voilà. Et moi j’étais là dans le métro avec mon livre. Au début je ne le cachais pas, pensant qu’une grande majorité connaissait ledit tableau mais après quelques murmures « dis donc, qu’est-ce qu’elle lit la demoiselle ? » j’écrasais sa couverture sur mes genoux pour ne pas être dérangée. Quelques fois, histoire de sonder un peu mes co-passagers, je le sortais ouvertement. Je n’ai souvenir de personne ayant reconnu le tableau. C’est à cause du regard des gens dans le métro que j’en suis venue à me poser ces questions. Je pouvais me comporter comme ces personnes dont j’ai parlé plus haut et étudier l’histoire de l’origine du monde en affichant la une de mon livre. Mais le plus souvent j’ai préféré la cacher, que l’acte de lire soit déjà quelque chose de plus intime, plus secret et non soumis aux interprétations de mes voisins. Je prenais cela très à cœur. Je tenais à ce que ma position devant la toile soit contemporaine et non historique.