Mathew Barney, lui aussi a été bodybuilder. Et son passé de culturiste donne quelques clés pour comprendre l’esthétique si particulière et dérangeante de ses œuvres. Mathew Barney, Martial Cherrier, body builders et plasticiens. Mais oui, normal. Référence au body art et même à l’art charnel d’Orlan parce que Cherrier passe lui aussi par la chirurgie esthétique, étape ultime de la gonflette. Martial Cherrier, donc, reflet de notre société actuelle qui prône le culte du corps. Tout s’enchaîne, c’est si logique.
M’enfin, non. Il y a quelque chose de nouveau chez Cherrier qui m’intrigue, quelque chose qui va au-delà de l’ambiguïté sexuelle de Barney, qui me semble plus frais et pas seulement parce que les moyens plastiques mis en œuvre sont plus sobres. Et puis non, on est loin d’Orlan, mamie ringarde aux pommettes frontales en bombe à eau.De ce que l’on peut voir dans cette petite exposition consacrée à Cherrier à la MEP, je passe donc rapidement sur les premières vidéos : injection de drogue dans d’énormes biceps, pilules tutti frutti pour devenir musclor s’enchaînent dans un montage accéléré. Et là je veux bien y voir une référence au body art. Sculpter son corps, devenir sculpture, le corps scientifique… voilà le discours, passons.
Au fond, dans la petite salle après la cafeteria, elles sont là, ces boîtes dans lesquelles Cherrier a épinglé des photos de lui superposées sur des ailes de papillons. Cherrier est musculeux et huilés, il prend la pose, les papillons sont grands et colorés, le tout est présenté à hauteur d’yeux comme dans un museum d’histoire naturelle. Il y a d’emblée quelque chose qui m’attire dans la petitesse qu’a ce corps certes fort, bronzé et huilé, quelque chose de ridicule. Un humour léger, presque, presque de la poésie. A ne pas manquer ce montage photo : vous connaissez bien ces poses qui visent à faire ressortir la musculature : les muscles des bars contractés au-devant du buste, les poings serrés et les pectoraux qui clignotent par tant de tension puis les bras les bras levés, coudes repliés les poings derrière la tête ; ces deux poses épinglées avec des ailes de papillon s’enchaînent et miment ainsi l’envol du papillon.
Comment plastiquement associer deux pratiques ringardes : le culturisme et la papillonophilie (quel est le mot exact?) pour donner un sens nouveau ?
Il y a bien sûr cette idée de la métamorphose qui va au-delà de l’opposition que l’on pourrait faire entre la fragilité du papillon et la force gonflée du bodybuilder.
Là où Barney me fait peur parce que c’est simplement trop, Cherrier m’intrigue parce qu’il semble vivre sur la même planète que moi, que j’aime sa manière de penser. Champion de France de bodybuilding en 1997, c’est la date la plus récente qui nous est donnée concernant son activité culturiste. Est-ce qu’il l’est toujours ? A-t-il toujours été plasticien et bodybuilder ? Cette pensée m’intrigue alors que dans un autre cas, elle aurait tout aussi bien pu me dégoûter. Le bodybuilding est une pratique bien éloignée du monde intellectuel de l’art et Cherrier ne semble pas avoir choisi cette activité par provocation intellectuelle. Il ne vit pas en spectateur de son corps, sculpture artistique, il l’est. Martial Cherrier, ce n’est pas du vent et ce n’est pas non plus un fou.
photos provenant du site de la mep