vendredi 28 avril 2006
Le Douanier Rousseau
Le Douanier Rousseau
Jungles à Paris
Du 15 mars au 19 juin 2006
Au Grand Palais
« Comme dans les tableaux du Douanier Rousseau lalala lalala lalala lalala woho woho wohooooo, VIVE LE DOUANIER ROUSSEAU! » Oui, tous les ans à la kermesse de l’école, il y avait toujours une classe de maternelle qui dansait sur cette chanson de la Compagnie Créole, toujours. C’est donc avec cette chanson dans la tête que je me suis rendue au Grand Palais, je l’ai même fredonné dans les salles. Enfin, j’allais voir ce Douanier Rousseau, un peu mystérieux pour moi ce douanier et quel rapport avec la Compagnie Créole ?
Avant l’expo, j’avais bien vu quelques reproductions dans le dictionnaire quand, au collège, je cherchais des informations sur Jean-Jacques (notre douanier s’appelle Henri). J’ai un vague souvenir au Musée d’Orsay mais j’étais bien trop pressée d’aller voir Courbet et Manet. Je m’en veux, je m’en veux. Mais le Douanier Rousseau est plus ou moins absent de mes cours d’histoire de l’art, est-ce que j’aurais mal recopié ?
Bref, j’y vais. Là, on apprend que le Douanier Rousseau était un incompris mais qu’il était quand même reconnu par Picasso et Apollinaire (petit moment de honte personnelle : j’apprends qu’Apolinnaire a lui aussi dit « Vive le Douanier Rousseau », moi je n’ai que les woho dans la tête). Alors là évidemment se déclenche en moi ce réflexe : mince alors, il l’aime tous (oui, tous : Picasso, Apollinaire, je ne veux pas me ranger dans la catégorie de ceux qui n’aiment pas parce qu’ils n’y ont rien compris), pourquoi je n’y réagis pas ? Pourquoi je me dis même que c’est plutôt moche ? Argh, très inconstructive comme remarque.
Je ne prends pas de plaisir à regarder ces premiers portraits car je les trouve disproportionnés. La dame devant dit pareil que moi, sentiment désolant que de penser la même chose que le visiteur lambda. J’essaie de trouver une justification aux disproportions, à l’effet masque des visages, on me dit que c’est naïf sur le cartel, j’essaye de me convaincre.
Et puis arrive cette salle, la salle 7 « les sources », on replonge dans la fin XIXème, côté littérature : Conrad, Kippling, Verne ; il y a aussi les expositions universelles dans lesquelles la France coloniale présente des « exhibitions ethnographiques », des photos du jardin des plantes, du jardin d’acclimatation…
Rousseau n’a jamais quitté la France, c’est donc grâce à ces jardins, grâce à ces expositions, ces lectures qu’il se crée cet univers onirique. Tout est recontextualisé dans mon esprit, maintenant je comprends, j’ai trouvé une brèche par laquelle je peux infiltrer l’œuvre du Douanier Rousseau. La preuve en est, je n’ai pas résisté à sortir mon carnet et mon stylo. Ca m’intéresse. Ce rapport du lointain et du proche, ces superpositions dues à l’accumulation des plantes dans les jardins parisiens mais aussi à la multitude d’images (photographies ou dessins) dont Rousseau s’inspire.
Il y a quelque chose qui m’intéresse maintenant, je le sens, je ne pourrais pas dire que ça ma plaît mais ça m’intéresse, je voudrais l’étudier, comprendre plus en profondeur. Je n’en suis plus à faire ces mêmes pâles constats : « oui, enfin si il est vraiment intéressé par la jungle, il n’a qu’à voyager, quand on veut on peut et plus la peine de faire semblant en allant au jardin des plantes. » Il y a quelque chose qui me fascine, je sens quelque chose qui est tellement étranger à nos modes de pensée actuels.
Je suis contente, je ne me suis pas forcée. Je n’aime pas Rousseau, il m’intéresse (je radote ?) dans la compréhension de ce contexte artistique historique, il fait écho à mes questionnements sur le colonialisme lors de ma lecture de Conrad. Mon jugement se nuance.
Ca y est, je suis préparée à voir les dernières salles qui accueillent les plus grandes toiles de Rousseau, les jungles. J’y trouve même un certain plaisir à les regarder, tous ces camaïeux de vert, ces animaux (le lion ayant faim se jetant sur l’antilope), mêmes les portraits dont j’apprécie mieux le rapport à la photographie pour finir sur le rêve.
J’ai réussi à nuancer mon jugement. J’ai mis de la distance avec l’œuvre du Douanier Rousseau, la distance de l’étude qui n’est pas celle de l’étude d’œuvre mais celle de l’étude historique, sociale, artistique. Développer mes propres considérations sur cette étude ici n’est pas mon intention. C’est la distance nouvelle que je n’avais jusqu’à lors éprouvée qu’en littérature (et pas seulement avec Conrad) qui m’intéresse. C’est un rapport plus nuancé aux œuvres.
Vive le Douanier Rousseau !
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3 commentaires:
la dilettante:
oui, je comprends cette idée que les oeuvres puissent nous être familières. Je m'étais posée cette question à propos des pots lorsque j'ai visité les Raynaud de Raynaud à Nice : ces pots je les aime parce qu'ils me sont familiers, je les associe à l'architecture de mes musées, ce sont des sculptures-signal, pour moi, elles ont toujours été là. Mais qu'en aurait-il été de mon jugement si j'avais pu suivre leur implantation, au moment où ces pots n'étaient encore que des choix, des possibilités? J'aurais peut-être été aussi catégorique que je le suis encore avec la plupart de la série des drapeaux.
L'histoire nous dit si les oeuvres durent mais il y a aussi une histoire plus intime entre chaque oeuvre et son spectateur qu'il faudrait toujours recontextualiser si l'on veut vraiment être objectif.
Mais, je ne sais pas si je veux vraiment être objective!
:)
Chère Claire, quel drôle d’oiseau que ce « douanier » Rousseau !
Un peu voleur, parfois escroc, adulé autant que moqué par les élites culturelles de l’époque… Son œuvre reste un bon exemple de la frontière ténue entre véritable artiste (au sens historique du terme) et peintre du dimanche.
Moi non plus, je n’aime pas Rousseau, en tout cas le résultat pictural de son travail (les goûts et les couleurs !...). Mais cet élan personnel et subjectif est modéré par l’intérêt que je porte à sa démarche et son incidence dans le déroulement historique des avant-gardes de l’époque…
(là, je suis tout à fait en phase avec ta propre posture !).
Alors, faire-valoir d’Apollinaire, personnage ubuesque d’Alfred Jarry ? L’apparition d’Henri Rousseau reste un phénomène inattendu dont la critique n’a pas trouvé d’autre explication que celle de la spontanéité du “primitif”, reprenant de façon assez ambiguë la définition du même Jarry. En effet, sans ancrage historique, l’art de Rousseau se présente uniquement à travers des images révélant sa propre perception du monde, réelle puis imaginaire, voire fantasmée…: une présence faite de mystère et d’évidence, la conscience “cosmique” de l’être, de l’ « être là ». Rousseau considère l’art comme une libre manifestation du fantastique sans cesse présente à la conscience.
Hasard ou nécessité ? Dès ses débuts en tant que peintre, Rousseau se trouve en phase avec le courant néo-impressionniste, ce qui l’identifie dans les sphères artistiques et influence l’évolution de son travail en contrecarrant d’une certaine façon l’expression de sa naïveté. Puis Rousseau évolue vers des thèmes correspondant aux attentes de son imaginaire : la découverte de la végétation tropicale et de son bestiaire l’aide à trouver un équilibre entre son imagination et la réalité.
Ce qui m’intéresse chez Rousseau, c’est cette manière dont il ressent son existence, une vision primitive (au sens d’essentiel) où se confondent réel et surnaturel. C’est en ce sens que son travail a du passionner de jeunes artistes comme Picasso, à une époque où la découverte des arts « primitifs » révolutionne la perception du réel et ses représentations.
Sa mythomanie manifeste s’accorde d’ailleurs à renforcer ce comportement « primaire » qui ne voit pas, dans la réalité et l’imagination, d’éléments contradictoires, mais bien une véritable complémentarité. D’ailleurs, il y a un besoin de tendre vers un équilibre psychique dans son travail : ses toiles sont la confluence entre une technique de « bâtisseur » (couleur uniforme, contours nets, absence de perspective…) et une source d’inspiration onirique.
Rousseau aime les illustrations populaires du genre image d’Epinal. C’est son monde, il ne songe pas à y apporter des changements lorsqu’il s’en sert de modèle pour ses toiles.
Il s’adonne à la peinture comme un primitif s’adonne à la magie. Ce qui conforte sa position d’artiste contemporain : on songe au caractère rituel des scènes de vie domestique chez Bonnard ou Vuillard… au mysticisme que Gauguin retrouve à Tahiti, à l’intérêt de Picasso pour les arts africains…
Donc, ce qui différencierait Rousseau d’un « peintre du dimanche », c’est que l’exotisme se développe chez lui comme une faculté exceptionnelle à individualiser une image née d’un inconscient collectif. Il accepte la vie comme elle est : son imagination est chargée de la banalité de l’expérience quotidienne. Ses tableaux ont la gravité de la vie même s’il fait coïncider banalité et magie.
C’est vrai que je n’aime pas Rousseau, mais mises en perspective de son époque, ses œuvres m’entraînent dans une méditation que je ne soupçonnais pas !
Vive le douanier Rousseau
Chère Claire, c’est un plaisir d’échanger sur ton blog !
Bravo pour ce billet !
C'est ce que j'essayais de dire, sans y arriver aussi bien que toi.
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