mardi 28 mars 2006

La Fin des Terres


La Fin des terres
De Philippe Genty et Mary Underwood
Du 8 mars au 7 avril
Au Théâtre National de Chaillot

Je suis allée voir un spectacle au théâtre national de Chaillot. Ca s’appelle la fin des terres. C’est de Philippe Genty. C’est super, allez-y.
Voilà, que dire d’autre…

Je voudrais vous décrire, vous raconter ce que j’ai vu. Seulement voilà, tout s’est embrouillé dans ma tête parce que la fin des terres ne déroule pas le fil continu d’une histoire. Différents tableaux illustrent les relations amoureuses. Ils se succèdent et s’enchaînent comme dans un rêve . Il n’y pas de trame logique mais plutôt une gradation dans la tension.
Il ne me reste que mes impressions et c’est tant mieux parce qu’elles restent plus fortes du fait qu’elles n’ont pas été alourdies par une quelconque histoire.

Le spectacle est à ranger dans cette catégorie un peu fourre-tout qu’on appelle les arts vivants. Il ne peut être réduit à la simple appellation « danse ».
Au départ, quand j’ai entendu parler de Philippe Genty, c’était pour son utilisation de l’espace. Et c’est vrai qu’il s’amuse sur la scène . Des pans de murs se déplacent, laissent apparaître et disparaître des danseurs, réduisent le champ de vision … La scène devient mouvante.
La force de ce spectacle vient de ces choses comme cet immense sac plastique qui se gonfle progressivement jusqu’à s’approprier une grande partie de la scène, ces choses qui s’élèvent vers un univers poétique loin des contraintes de la technique qui les crée. Ce sac, cette bulle de plastique, gonfle, bruisse, flotte, s’engouffre et permet de ressentir un sentiment d’apesanteur. Il n’est plus seulement un élément plastique du décor, en se mouvant , il devient vivant. Il amène un nouvel espace et une nouvelle temporalité sur la scène. Il protège les danseurs comme dans une bulle, il les étouffe, ils les attire et les repousse.
Non, cette bulle de plastique ne fait pas partie de tout le spectacle mais elle est intégrée à la scénographie de différents tableaux particulièrement marquants.

Les mouvements sont fluides, il n’y pas d’événements sensationnels, tout est mis en œuvre pour que l’émotion naisse et se développe crescendo. Il y a des jeux d’apparitions et de disparitions des danseurs sur la scène. Il se dérobent ou font irruption grâce à des trous sur la scène. Ce ne sont pas des trappes, on ne voit aucun geste d’ouverture . C’est comme s’ ils glissaient dans un autre univers sous la scène, tout est fait de manière poétique si bien que le spectateur n’a pas la sensation d’assister à un tour de passe-passe. Un tour où il faut trouver le truc parce qu’il y en a un. Non, ici, tout est naturel. Ce n’est pas de la mauvaise magie.

Un tableau est particulièrement marquant parce qu’il met en scène une danse entre une jeune femme et un insecte à tête d’homme. On n’est pas dans un bestiaire ni dans un jeu de science-fiction, l’insecte (c’est une marionnette à échelle humaine) nous emmène dans une histoire onirique. On balance entre attirance et répulsion.

J’arrête ici ma description, il y a énormément de tableaux dont je ne ferai pas mention. Je voudrais vous raconter mais je ne veux pas alourdir mes paroles et gâcher mon impression. C’est très égoïste mais en même temps, peut-être que ça vous incitera à aller faire un tour au théâtre national de Chaillot.

Après avoir digéré ce spectacle, je me suis tout de même demandé si tout ne pouvait pas être réduit à une expérience de l’espace. Les tableaux n’étaient peut-être que des prétextes à l’expérimentation de la scénographie. Moi ça me convient très bien mais j’imagine que c’est un reproche que l’on peut faire. Et pour aller dans le même sens, je me suis demandé pourquoi ce titre, la fin des terres ? Avant le spectacle je pensais y trouver ma réponse mais non. Alors la fin des terres, c’est sûr que ça sonne bien, mais est-ce que ce n’est pas juste du style ? Y’a-t-il un autre lien que l’expérimentation sensorielle de l’espace entre tous les tableaux ? Oui, il y a les relations hommes/femmes mais c’est un peu léger .
Quoiqu’il en soit, les questions que je me pose à ce sujet même si je n’ai pas trouvé leur réponse n’ont en rien amoindri mon sentiment. Les mouvements, les déplacements, les gestes prennent vie dans l’espace scénique et réprésentent parfaitement des émotions qui deviennent plus palpables que dans n’importe quel autre genre artistique. Rien que pour ça, allez-y.

vendredi 17 mars 2006

James Turrell



James Turrell
Alta White à l’atelier Brancusi






Ca y est ! Depuis quelques mois maintenant, je fais partie des gens qui ont vu un « James Turrell » en vrai. Oui, parce qu’avant cela, je ne faisais que subir les « non, mais on peut pas vraiment comprendre une œuvre de James Turrell tant qu’on en a pas fait l’expérience soi-même, non sur la photo ça rend rien ».

J’étais d’autant plus fière et satisfaite que mon baptême s’était très bien passé. Une œuvre de la série des Tall Glasses était exposée à la galerie Almine Rech vers fin 2005. Je savais qu’il était question de lumière incandescente, et qu’il y avait un je ne sais quoi qui faisait que l’œuvre ne dévoilait pas ses secrets de fabrication. Une sorte de flou artistique. Tout ça, ça m’intriguait.

Et je suis restée longtemps à la regarder cette tall glass. Les couleurs variaient, elles se faisaient fluides comme des nuages lumineux coulants. Et surtout impossible de comprendre d’où venait la lumière.
Il y a quelque chose qui se produit, de l’ordre du recueillement, au-delà de la contemplation.
Les bords du cadre sont si finement coupés que la lumière semble avancer vers nous. Elle apparaît comme une force .Une force qui nous aspire, presque hypnotisante. On n’a pas le droit de toucher. Oui, en théorie. Mais tout le monde (ou presque) après une première contemplation de l’œuvre est tenté de se lever , de se rapprocher pour mieux s’y confronter. On avance la main et la limite de l’écran qu’on s’était imaginé est finalement inexistante. La main plonge dans cet écran. Ca devient presque de la science-fiction. On se retrouve dans la même position qu’Alice devant le miroir ou même comme tous ces héros de science-fiction qui ont découvert une manière de voyager dans le temps : ils passent d’abord la main , le miroir se fait eau et les absorbe. Il y a quelque chose de mystique dans les œuvres de Turrell, ce n’est pas qu’un phénomène physique.

Si on plonge la main trop loin, on rencontre le plexiglass. Mais ce n’est pas un désenchantement pour autant. Il n’y a pas de déception puisque la rencontre de ce plexiglass, matériau identifiable, n’éteint pas la magie de l’œuvre elle-même. Elle garde ses secrets.

Depuis, James Turrell, j’en parle à tout le monde, j’ai même réussi à le ressortir dans un de mes projets. Je n’ai pas acheté le livre. Il est peut-être très bien mais il me faisait trop catalogue pour moi et l’énumération du catalogue annihilait la notion d’expérience que j’avais ressentie. Je lui ai préféré l’homme qui marchait dans la couleur de Georges Didi-Huberman sur lequel je suis tombée par hasard. Heureuse trouvaille : les œuvres de Turrell sont abordées d’un point de vue poétique et replacées dans une tradition spirituelle. Quelques lignes parmi tant d’autres :
«Il est troublant de retrouver, dans cet objet contemporain, la paradoxe immémorial qui exigeait de présenter l’illimité dans le cadre d’une rigoureuse prescription architecturale, fût-elle réduite aux plus simples matériaux. »

Alors quand j’ai appris que le Centre Pompidou venait d’acquérir une œuvre de Turrell et l’exposait à l’atelier Brancusi, je m’y suis précipitée. Alta White.

J’entre, cette fois-ci pas de fauteuil, pas de banc, on reste debout. Dans un coin, un carré blanc. Un projecteur à l’autre bout de la pièce éclaire le coin d’une lumière blanche et nos yeux perçoivent une pyramide à base carrée. Je m’avance, je recule. Je m’avance encore. Oui, c’est bien deux petits moutons de poussière que je vois sur la base carrée. Enfin, petits, bof. Est-ce qu’on a le droit de passer l’aspirateur sur une œuvre de James Turrell ? Question sans intérêt. Mais voilà, je suis bien loin de l’expérience de la Tall Glass chez Almine Rech . Tout me semble plus trivial. Je suis déçue.

Quelques jours après, j’y retourne, la poussière a disparu et la lumière est belle. Il y a quelque chose qui se passe mais ça m’effleure seulement. Je me déplace dans la pièce et passe devant le projecteur et j’annule ainsi le temps d’un pas l’effet de la pyramide. Où est l’illimité ? Tout est dévoilé. C’est peut-être du au fait qu’on ne peut pas s’asseoir, le temps de la contemplation est donc plus court. Peut-être même qu’il est trop court pour être appelé contemplation. L’environnement aussi compte et la public avec qui on partage cette expérience. Les gens dans la pièce ne sont pas venus à l’atelier Brancusi pour James Turrell, ils ne connaissent pas et doivent se demander quel est le guignol qui arrive encore à faire de l’art en éclairant le coin d’une pièce. Tout ceci n’est pas propice à l’expérience contemplative. On entend une voix à l’extérieur de la pièce, c’est une vidéo sur James Turrell passageways, elle est là comme en renfort de Alta White, comme pour justifier la présentation d’une telle œuvre. Mais la vidéo est intéressante, c’est la recherche de Turrell du site de son œuvre Roden Crater. Ancien pilote d’hélicoptère, il parcourt le désert peint à la recherche de ce site.
Un peu déçue par Alta White. Mais je reste convaincue que le ressenti est fortement lié à la présentation de l’œuvre .Ca me plaît que Beaubourg expose Turrell (il paraît qu’il est également exposé à l’expo Los Angeles 1955-1985) mais il n’est peut-être pas assez mis en valeur.

Un autre Turrell dans Paris, au nouveau magasin Louis Vuitton sur les Champs Elysées. Encore un autre cadre de présentation : au deuxième étage au-dessus de l’escalier, vous aurez assez de recul pour le voir. Vous pouvez rester planté là à regarder l’écran horizontal virer du bleu au vert pendant que tout le monde s’affaire autour de vous et dépense des sommes faramineuses. Vous, vous savez que c’est James.

Pour ceux qui n’ont jamais vu de Turrell, désolée, en plus c’est vrai que ça rend rien sur la photo.


vendredi 10 mars 2006

Collections exposées


La collection Phillips au Musée du Luxembourg (collection de Duncan Phillips)du 30 novembre 2005 au 26 mars 2006
Le feu sous les cendres de Picasso à Basquiat au Musée Maillol (collection de Jan Krugier)du 8 octobre 2005 au 13 février 2006


Parmi les expositions actuellement présentées à Paris, deux ont retenu mon attention.

La collection Phillips et le feu sous les cendres sont deux expositions a priori assez différentes l’une de l’autre, tant par les œuvres présentées que par le musée qui les héberge, mais elles se rejoignent sur un point : elles exposent des collections privées. Non pas que le phénomène soit nouveau. On a régulièrement l’occasion de visiter des expositions de collections privées que ce soit dans les galeries ou dans toutes ces nouvelles fondations privées qui semblent fleurir à tout va dans le monde de l’art contemporain . C’est déjà plus rare dans les musées.
Ce qui me paraît nouveau, c’est l’emphase mise sur le collectionneur qui devient vraiment quelqu’un, une personne à qui l’on attribut des goûts, des choix, des passions. Le collectionneur qui décide d’exposer sa collection n’est plus cette ombre froide qui plane sur le titre de l’exposition ou cette somme d’argent faramineuse nécessaire à l’achat de toutes les œuvres présentées. Il semble qu’il se dévoile, qu’il se présente aux visiteurs par l’intermédiaire des œuvres qu’il a choisi de présenter.

Ce qui me plaît, c’est que les deux expos, et surtout celle du Musée Maillol, ne sont pas présentées de manière didactique (bien que l’expo du musée du Luxembourg reste dans une certaine chronologie. On peut toutefois regretter que les tableaux ne soient pas présentés par ordre d’acquisition.) . C’est une respiration dans le flot des expositions habituelles. Le regard que le visiteur porte sur les œuvres est neuf, pour peu qu’il lise un minimum les cartels d’exposition. Ceux-ci mettent l’accent sur l’affect, notamment ceux du musée du Luxembourg qui renseignent abondamment sur le ressenti de Duncan Phillips lors de l’achat des œuvres. On comprend alors ses hésitations, ses coups de cœur (pour le Déjeuner des canotiers de Renoir qu’il attendra 12 ans pour enfin pouvoir l’acheter).

En collectionnant, ils se sont en quelque sorte offert un bout de l’histoire de l’art. Ils ont posé leur signature, ils ont fait œuvre en collectionnant.
Ils ont été des acteurs dans l’histoire de l’art. L’artiste n’est pas le seul à vivre son art, il faut que le public le ressente.
Les collectionneurs représente un lien direct avec l’art. Ils ont été en contact avec la création, ce sont en quelque sorte des passeurs.
C’est intéressant de voir ces œuvres sous un jour nouveau. Grâce aux collectionneurs, elles ne sont plus seulement des images dans l’histoire de l’art puisqu’elles font également partie de l’histoire personnelle de leur collectionneur.
En achetant ces œuvres, ils ne font pas que les posséder, ils se les approprient.

Sortir l’œuvre de sa présentation chronologique ou thématique et l’envisager comme objet de désir. Les tableaux ne se limitent plus à des surfaces qui racontent, ils expriment et ils expriment en tant qu’objet et non plus seulement en tant que support. Ils sont présentés comme des objets de possession, que l’on convoite. Le rapport à l’œuvre d’art est donc ressenti comme étant plus passionnel que dans un musée ou une expo traditionnels, puisque là, il ne semble plus y avoir le filtre de l’institution. Pour illustrer cette distinction, je vous renvoie au paradoxe sur le conservateur de Jean Clair qui nuance formidablement la position du conservateur à celle du collectionneur-amateur , un court extrait:
« le collectionneur, à l’inverse du conservateur, vit avec ses tableaux .Il entretient avec eux des rapports aussi intimes, exclusifs, étroits et continus qu’il entretiendrait avec les femmes qu’il aime ».

Ce qu’il y a de troublant dans ses expositions de collections privées, c’est que , que ce soit grâce aux cartels ou à la scénographie, tout est fait pour faire transparaître la personnalité du collectionneur . Le visiteur peut donc facilement se le représenter, non pas que je sache à quoi ressemble Duncan Phillips ou Jan Krugier, je n’ai pas eu l’occasion de voir leur portrait mais cela ne me gêne pas. L’essentiel est de comprendre qu’ils sont en chair et en os, comme nous. Il y a donc un raccourci qui se crée lorsqu’on est face aux œuvres. On se retrouve à les contempler, au milieu de toute cette foule de visiteurs (oui, le musée du Luxembourg est toujours aussi bondé) et on sait que le collectionneur, le possesseur de cette œuvre s’est retrouvé dans la même position que nous. Même position certes, mais dans une certaine intimité avec l’œuvre. C’est ainsi qu’on ressent cette intimité avec l’œuvre presque par procuration .

On peut dire qu’il y a une sorte de partage entre le collectionneur et le visiteur. On arrive plus doucement à s’approprier l’œuvre, on glisse plus facilement en elle parce qu’elle n’intimide plus par son statut d’œuvre d’art. Paradoxalement, ce sentiment l’élève en nous à un niveau plus élevé dans l’art. Il me semble qu’on la reçoit plus facilement.

Tout est affaire de nuances. Peut-être que ce que j’en dis vous semble être pure élucubration. Toujours est-il que parcourir ses expositions procure un sentiment voisin de celui qu’on éprouve quand après avoir vu des centaines de fois le même tableau reproduit dans un livre d’art, on se retrouve enfin face à lui. On a beau le connaître par cœur le sentiment de quelque chose de nouveau nous surprend.
Evidemment certaines personnes n’iront à ces expos que pour voir enfin le déjeuner des canotiers de Renoir (surtout les fans d’Amélie Poulain ; écouter les conversations des gens devant ce tableau est un régal…) ou pour voir Basquiat qu’ils adooorent. Et pourquoi pas, les expositions sont suffisamment riches dans leur contenu pour qu’on ne s’attache qu’aux œuvres elles-mêmes et qu’on oublie tout mon baratin sur le collectionneur, véritable passionné…

Encore un mot sur « la collection » avant de vous parler des œuvres. Un cartel dans le musée du Luxembourg disait que Duncan Phillips cherchait à prendre le « meilleur de chaque artiste en préservant la force et le singularité de sa collection ». Si les œuvres proviennent toutes de mouvements très différents , on sent toutefois une ligne directrice qui est propre aux choix du collectionneur.
Dans une expo traditionnelle présentée chronologiquement ou thématiquement, on n’aurait jamais pu voir de telles œuvres réunies. Pourtant, aussi éloignées qu’elles semblent être, elles font partie d’un même ensemble. Aucune œuvre ne jure par rapport à cet ensemble. C’est là, il me semble, une des difficultés de la collection : on ne peut réunir des œuvres très différentes sans qu’elles ne dissonent par rapport à l’ensemble que s’il on reste soi-même, si l’on ose affirmer ses choix. Imaginez vous millionnaire, et prêt à dépenser votre argent dans le but d’établir une collection, ne serait-ce pas difficile de ne pas se disperser ? De ne pas se laisser séduire momentanément par toute sorte de chose ? Ce qui fait la force d’une collection c’est ce sentiment qu’il faut accomplir quelque chose, faire œuvre comme on l’a dit plus haut, c’est pour ça qu’il convient de rester sincère et fidèle à ce que l’on désire et de ne pas s’éparpiller. Pour reprendre notre Jean Clair chéri : « la passion qui les a rassemblées est le seul des sentiments qui survive à la corruption des modes et à l’érosion des habitudes ».
Ce qui m’a plu dans ces expositions c’est le sentiment que chacune de ces œuvres faisaient partie d’un tout, un autre tout que celui auquel on est habitué, un tout plus intime.
Maintenant les expos en elles-mêmes. Dans la collection Philips, on ressent une sorte de désir de la couleur comme énergie vitale, la couleur vibrante, chatoyante. Ce sentiment traverse toute l’exposition du milieu du XIX jusqu’aux années 60 environ (non, Duncan Philips n’a pas vécu plus d’un siècle )de Courbet à Soulages, en passant par Cézanne, Bonnard (actuellement au MAM dans une expo qui semble être magnifique mais pour laquelle il faut encore faire la queue), Matisse, Klee, De Staël…
Les Danseuses à la barre de Degas se détachent superbement de leur fond orange à la touche vibrante auquel répond la tâche vert d’eau de leur tutu. On plonge dans la couleur, on ressent son énergie, ses pigments qui semblent si légers et si puissants dont le rendu est malheureusement appauvri par la reproduction.

Deux des artistes présents dans la collection Phillips ont également leur place dans l’expo du musée Maillol : Bacon et Giacometti. Au musée du Luxembourg , Bacon est représenté par une toile un peu inhabituelle (contrairement au pape exposé au musée Maillol).
Elle représente un individu seul dans un champ.Le rendu de ce paysage laisse supposer qu’un vent souffle dans les herbes de ce pré. Les herbes posées par touches sont certes éloignées mais tout de même héritières des champs de Van Gogh (également présenté à l’expo) . On voit rarement de paysages dans l’œuvre de Bacon, et celui-ci reste un support pour illustrer la solitude du personnage au centre.
C’est une grande tête en bronze, un des nombreux portraits de Diego, son frère qui est présentée au Musée du Luxembourg alors que c’est un portrait d’annette sur toile qui représente Giacometti au Musée Maillol. Pour les grands adeptes de Giacometti et surtout de ses sculptures, l’exposition actuelle au musée Rodin intitulée la sculpture dans l’espace ouvre sur énormément de questions quant au socle, à l’échelle et à la précision des sculptures.
Dans le feu sous les cendres, les œuvres ont ceci en commun qu’elles semblent agitées par un cri intérieur. « To be or not to be, cette valeur reste pour Jan Krugier l’un des critères essentiels du choix fondé sur l’expérience de l’artiste, qui met sa personne, sa raison, sa vie en péril afin de délivrer ce qu’il est absolument nécessaire de dire, d’inventer pour que cela existe » (extrait du catalogue de l’expo).

On retrouve donc des œuvres qui touchent à l’essence même de l’être souvent traduites par une économie de moyen. Des Basquiat côtoient des Giacometti, des Richier, des Bacon, des Dubuffet, des Rothko…
Les œuvres ne sont pas présentées chronologiquement, cela répond à une tentative de les présenter regroupées sous des pseudo-thèmes histoire de justifier l’accrochage . Le discours est un peu superflu mais ne gêne en rien la visite de l’expo. Des œuvres modernes ou contemporaines font écho à des œuvres d’art primitif comme les taureaux de Michel Haas ou Picasso présentés en dialogue avec une étonnante sculpture de Bambara (Mali) du début XX. Le cheminement à travers l’expo est agréable, bizarrement le choix des œuvres paraît plus arbitraire dans le catalogue alors que dans l’expo, les œuvres se répondent.

Elément phare de cette expo, c’est l’hommage qu’est rendu à Zoran Music disparu en 2005. Une dizaine d’œuvres sont présentées et notamment cet homme brisé (1998) ainsi que de grandes toiles de la série intitulée nous ne sommes pas les derniers qui date de 1973 . Ces toiles sont d’autant plus bouleversantes qu’elles ont été les premières à retraduire cet amoncellement des corps dont Music avait été le témoin lors de sa déportation à Dachau. On est à des années-lumières de ce que peut ressentir Krugier (lui aussi a vécu l’expérience des camps) devant les toiles de Music mais de se mettre à sa place face aux tableaux rend l’émotion plus palpable.
L’exposition le feu sous les cendres est malheureusement terminée mais je vous invite à l’avenir à être plus attentif à l’histoire parallèle des œuvres, elle dévoile de multiples significations. J’ai volontairement fait court en ce qui concerne leur description. Tant reste à dire car chacune représente comme un coup de cœur ou du moins un désir sinon un besoin de posséder.

Zoran Music image provenant du catalogue