jeudi 27 août 2009

Spiral Jetty1 par The Other Theater ou L'homme qui rit à la fenêtre


Points de rencontre entre l’art, le design et le cadre plus large de la vie ; qu’elles invitent le public à participer ou non, les performances artistiques constituent des échappées hors du temps et de la réalité quotidienne. Elles permettent par cette prise de distance de soulever des questionnements sur nos actions et nos intéractions en offrant deux cadres de réflexion : celui établi par le contenu-même de la performance mais aussi celui de la place inédite de cette performance dans notre quotidien. C’est cette double réflexion que je veux exposer ici.

Pour l’expérience architecturale de spiral jetty1 organisée par The Other Theater, nous étions une vingtaine de personnes inscrites à chacune des trois représentations les 4 et 5 avril. Le participant était amené à vivre une expérience architecturale inspirée des écrits de Robert Smithson, artiste phare du Land Art dont l’oeuvre la plus connue reste Spiral Jetty, cette jetée artificielle qui s’inscrit dans le paysage du Great Salt Lake  en Utah depuis sa construction en 1970. 

De l’expérience, les informations données lors de l’inscription ne renseignent que sur ses modalités : le participant sera muni d’un i-pod qui lui dictera des actions qu’il sera libre de faire ou non, la performance se déroulera dans un espace intérieur, celui du centre chorégraphique de Montréal et le participant lègue son droit à l’image pour les archives de l’événement.

La référence smithsonienne donne toutefois quelques indices sur le contenu de cette performance dont nous serons les pantins consentants : on peut s’attendre à une réflexion sur le construit et l’artificiel versus le naturel.


Lorsque nous arrivons à l’heure du rendez-vous, la faune présente est presque trop typique. De la même manière que tous les architectes s’habillent en noir, il y a comme un costume du participant aux expériences artistiques que nous avons tous revêtu pour l’occasion. En miroir, nous nous regardons vivre cette expérience.


En rang par deux et munis de nos écouteurs blancs, nous voilà foule hétéroclite et unifiée à la fois, prête à entamer la performance. L’un après l’autre, les i-pods sont mis en marche et débute notre expérience. Suivant les directives d’une voix lointaine et chaleureuse, nous entrons progressivement dans l’espace vide de ce qui doit être une salle de danse. Un corps est dessiné au sol à l’aide de tape blanc, sommes-nous sur les lieux d’un crime? Des panneaux de chantier ponctuent l’unique mur sans fenêtre. Des gradins lui font face. L’espace est grand, petit, large, haut, gris et lumineux. Nous en prenons possession en distinguant chacun de ses composants. 

Dans ce ballet silencieux, chacun semble absorbé dans ses actions. Des automates gracieux et élégants. Nous ne prenons conscience des autres que lorsque nous sommes amenés à rejoindre un repère dans l’espace. Nos lignes d’actions se superposent les unes aux autres mais sont indépendantes. Est-ce parce que nous sommes filmés ou bien parce que tout le monde semble jouer le jeu, mais nos mouvements prennent une nouvelle vitesse. Une expression silencieuse, introspective se lit sur nos visages. Quand nous sentons les gestes d’un autre participant, nous intéragissons avec lui comme dans un autre temps, une autre dimension. Entre les directives proposées par la voix, des extraits de discours ou d’essais philosophiques sur des thèmes variés allant de la vieillesse aux bulles de savon en passant par la fragilité des insectes qui ne vivent qu’un jour. Des amorces de réflexion qui nous sont offertes alors que nous arpentons l’espace. 

Lentement, nous sommes amenés à venir regarder par la fenêtre. Nous vivons la réflexion mais nous la jouons aussi. Les i-pods dirigent une chorégraphie silencieuse et forment une masse autour de la fenêtre. Là, nous restons tous quelques instants, quelques minutes, le temps est suspendu comme dans un rêve.  À l’extérieur, il y a ce que nous y projetons avec pour toile de fond ces rues et immeubles bien réels. Et dans un appartement bien réel, face à la fenêtre à laquelle nous sommes une petite dizaine à être agglutinés pendant que d’autres parcourent encore l’espace de la salle de danse ; dans cet appartement, à la fenêtre, il y a cet homme. Il est probablement chez lui, dans sa cuisine, son salon, il pleut, il est resté chez lui. Il nous voit et ne peut s’empêcher de nous faire signe. Il rit. Depuis sa fenêtre nous avons certainement l’air d’un groupe comique de fanatiques, surtout lorsqu’il entrevoit un des participants qui courrent en rond derrière notre groupe mélancolique compressé près de la fenêtre. Cette intéraction imprévue provoque un malaise, ou tout du moins elle perturbe cet état dans lequel nous sommes projetés depuis le début de l’expérience, cette barrière que nous avons créée avec notre jeu élégant de mouvements lents et qui nous protège du bruit extérieur, cette barrière est comme rompue par cette irruption. Je cesse dès lors de vivre l’expérience comme je l’avais entamée, il y a désormais deux temps : celui de l’expérience spatiale que je suis venue vivre et celui de la réalité à l’extérieur de cet espace. Je jongle entre ces deux positions. La situation que me propose The Other Theater me plonge dans une introspection mais je ne peux pas m’empêcher de soulever ce malaise, ces doutes, ces questionnements qu’amène la rencontre avec cet homme qui, depuis sa fenêtre, rit de nous. 

Comment, dans cette expérience très personnelle et qui s’adresse à mon sentiment intime de l’espace, comment puis-je être si étrangère à cet individu? Si je veux créer et participer à des expériences de ce genre, c’est parce que dans les dispositifs qu’elles offrent, elles permettent de revenir à un sentiment d’origine. En expérimentant l’espace, j’y suis confrontée en tant que personne. Cela en devient une expérience presque ontologique et en ce sens elle est accessible à n’importe qui. Comment se crée alors cette distance avec cet homme qui rit de moi? Comment par l’image que notre groupe de personnes agglutinéés à la fenêtre, nous rejetons les personnes agissant à l’extérieur de la performance? Pourquoi crée-t-on par notre apparence, notre jeu, un rempart contre les personnes étrangères à ces formes d’expression artistique? Une telle expérience ne devrait-elle pas être ouverte au maximum de gens? N’est-ce qu’une utopie que de vouloir faire partager cette réflexion sur l’espace? Peut-être vaut-il mieux, par défaut, ne l’ouvrir qu’aux personnes ayant déjà des clés d’accès aux pratiques et théories artistiques. Si elles concernent ici les formes performatives de l’art, ces questions ne sont pas pour autant spécifiques à cette forme d’expression. On retrouve ces mêmes problématiques dans la réception de l’art contemporain et actuel : Combien de personnes s’interdisent de plonger dans la couleur d’un Rothko pensant qu’il y a nécessairement une histoire dont ils doivent retrouver le fil? Faut-il avoir une connaissance des problématiques de l’art pour comprendre qu’une oeuvre peut finalement être perçue de manière directe et sensorielle? Il semblerait qu’une connaissance minimum de l’histoire de l’art  dédramatise la compréhension d’une oeuvre comme une clé d’accès pour une expérience finalement très simple. Un détour. 





Je m'excuse pour cette mise en page plus qu'indigeste, c'est un copier-coller que blogspot ne digère pas et je n'ai pas le courage de venir retaper ce texte mot à mot. Cet article a été proposé à la revue Esse. Trop subjectif, il a été refusé ce qui me permet de le publier ici.