dimanche 17 décembre 2006

5 milliards d'années

5 milliards d'années
Une seconde une année
De septembre à décembre 2006
Au Palais de Tokyo

Aller au palais de tokyo un dimanche après-midi.
Arriver juste au moment où l’on remballe l’atelier tok-tok. Les enfants courent encore partout.
Arrêter de se la péter genre moi, tu sais l’art contemporain, ça me connaît, et juste kiffer.
Parcourir l’exposition en rebondissant d’une œuvre à une autre, comme toujours happée par la suivante. Prendre tout au premier degré parce que des fois, il faut que l’esprit se repose. Inutile de culpabiliser pour avoir trop souvent zapper devant les frères Bogdanov. Se dire qu’après tout, je n’ai pas envie de réviser les théories sur le big bang avant d’aller voir une expo.
5 milliards d’années, oui, mais aussi peut-être seulement moi (nous), là, maintenant, ici.


Un Michel Blazy très chevelu et très jaune nous accueille. On aimerait s’y glisser comme dans un lavauto. Une sorte de peluche géante sur pattes.





Un peu plus loin, dans une salle sombre clignotante à cause d’une de ses œuvres trop conceptuelles pour ma visite premier degré, un petit chimpanzé. Le même que chez Omo. Debout, les bras en avant dans une position entre le somnambulisme et le darwinisme, il est terriblement intrigant. J’ai dit Darwinisme ? Non, non, restons premier degré.












Un souffle malade se fait entendre. Inspiration-expiration. Court, presque haletant et terriblement angoissant. Ceci ajouté à une lumière violette qui s’allume et s’éteint au rythme du-dit souffle. Soudain, plus rien. J’attends. Soudain, un petit gars pas plus haut que notre omo darwinien lâche un cri perçant comme seul ceux qui ont en dessous de 8 ans peuvent le faire (c’est un âge approximatif que je donne là, hein, ne vous en faîtes pas si votre enfant ne correspond pas à cette statistique). Et là, le souffle se remet en marche. Mais oui, c’est écrit, là, hurlez aussi fort que vous pouvez. Impossible de sortir un son de ma bouche, j’ai 2 fois et demie 8 ans. Je reste alors spectatrice et auditrice amusée de ces deux gamins qui hurlent gaiement chacun leur tour.


Et heureusement qu’ils sont là, un peu plus loin, ils participent encore à l’œuvre. Un autre petit bonhomme est face au mur, mais cette fois-ci, c’est un faux, une sculpture si vous préférez. Nos deux vrais petits garçons titillent le faux, lui tapent sur l’épaule. Certains visiteurs, de loin, les trouvent bien dissipés, non, vraiment, il faut tenir son gosse quand on va au musée. Bam bam bam bam. Un des trois enfants vient de se taper la tête contre le mur, bien fort. Vous en faîtes pas, c’était le faux, la sculpture (j’espère que vous suivez). Comme ça, de temps en temps, le mécanisme se met donc en marche et fait peur à tous les visiteurs bienveillants.




On en arrive à mon œuvre préférée. C’est une installation dans une petite salle. Elle s’appelle flying tape. 8 ventilateurs sont regroupés au centre et renvoient de l’air au quatre coin de la pièce. Une fine bande de film se balance, ondule sur le souffle des ventilateurs. La bande est nouée de manière à former un cercle. Elle ne tombe jamais, elle danse et circonscrit un espace d’air dans lequel on entre et on sort avec légèreté. Si vous achetez le nouveau magazine Palais, vous y trouverez un article qui traite de flying tape de manière scientifique. Une œuvre est toujours plus forte lorsqu’elle possède différents niveaux de lecture. Oubliant un peu mon premier degré de rigueur, j’ai choisi une interprétation poétique de flying tape.


Rester un moment, sourire niaisement, parce que si on ne peut plus hurler, on peut encore sourire niaisement. Esquisser quelques pas de danses maladroits se voulant des plus légers. Oui, voilà.



mardi 14 novembre 2006

L'agrume

L'agrume
Valérie Mréjen
Editions Allia


Histoire d’une petite addiction.

Il y a ces livres qui ne sont que des objets, qu’on ne lit que pour mieux posséder l’objet en question. La lecture prolonge l’acte d’achat.

La lecture se fait dans le lieu et le temps présents, le design de couverture est si fort qu’il devient opaque et ne permet pas d’aller au-delà de l’objet-livre, de s'engouffrer dans l'histoire. L’histoire n’est pas un au-delà spatio-temporel, c’est une justification de l’objet-livre.
J’ai lu un livre à la couverture fluo. Rose ou orange, je ne sais pas vraiment, elle était surtout fluo. Avec pour titre l’agrume, j’ai même cru un moment qu’il reniflait l’orange mais en fait, non, il sentait juste le livre.
Ces petits livres dont le profil est si ridiculement maigre, ces livres qui n’auront aucun intérêt à venir s'écraser dans la bibliothèque, ces petits livres que je voudrais répartir sur un panneau, comme ça jetés au hasard mais quand même de face.

Ces petits livres si courts qu’on n'a pas le temps d’oublier cette couleur fluo de la couverture. Refermer le livre et se dire « l’agrume », agrume avec sa matière de mot si particulière. Agrume qui intègre alors cette petite liste de mots préférés...

jeudi 2 novembre 2006

La Fabrica



La Fabrica, les yeux ouverts

du 6 octobre au 13 novembre 2006

Au Centre Pompidou


Il est de ces expositions où l’on va de rebondissements en rebondissements. Il est de ces expositions où ce qui est présenté est difficilement définissable. Il est de ces expositions où la visiteuse que je suis s’amuse comme une petite folle.

Welcome to la Fabrica*
*Bienvenue à la Fabrica




Vue du dessus, l’exposition semble être organisée en un joyeux bordel, caractéristique d’une émulsion artistique, d’une énergie créatrice. Vue de l’intérieur, idem. Pourquoi ? Parce que les projets partent dans tous les sens, de la communication visuelle à l’humanitaire en passant par la vidéo, parce que les modes de présentation différent les uns des autres et créent ainsi des rebondissements tant dans la découverte de chaque projet par le visiteur que par la dynamique qui se crée de par leur présentation différente.

La Fabrica reprend le principe de la factory warholienne et accueille en son sein (sorte de petit paradis à Trévise, Italie dont l’architecture a été conçue par Tadao Ando) toutes nationalités, toutes pratiques si elles s’avèrent être intéressantes. A l’initiative d’Olivero Toscani ex-boss de Benetton, il paraît que le Fabrica bat de l’aile, que ce n’est plus ce que c’était. Il paraît. M’en fiche.

Trop peu de visiteurs ose s’aventurer vers le guichet d’audio-guidage nouvelle génération. C’est pourtant dommage. Avec un casque et un écran tactile machin-chose, on se ballade dans l’expo et des vidéos se déclenchent grâce à des capteurs spatiaux en fonction du projet devant lequel on se situe. Oui, c’est moderne. Et ce n’est pas fini, notre parcours est enregistré par lesdits capteurs et ainsi répertorié dans des statistiques auxquelles on a a priori accès. J’ai cherché, je n’ai pas trouvé. Au-delà de l’aspect Big Brother, c’est terriblement amusant. Il ne faut d’ailleurs pas trop chercher de recul ou autre distance critique dans les projets présentés même s’ils dénotent assez souvent d’un certain engagement. On se rappelle les campagnes publicitaires coup de poing de Benetton, la force d’engagement prend finalement le pas sur le regard critique qui en était l’origine.


Et ce qui fait la force de la Fabrica, c’est justement cette énergie. Tous les projets mis bout à bout donnent un éventail des possibilités mais ne recherchent pas le regard critique. C’est un laboratoire d’idées. La Fabrica s’adresse au citoyen lambda. Elle ne vise pas un discours trop intellectuel ou inaccessible.

Les rebondissements permettent de ne pas trop s’appesantir sur chaque projet et d’aller d’émerveillement en émerveillement.

Oui, la Fabrica s’engage pour des causes justes mais vous irez voir l’exposition pour vous amuser.

Et peut-être que comme moi, vous vous rendrez compte en remontant les escaliers, de leur côté rouge bien sûr, que c’était de là que venait cette petite musique. Monter, redescendre puis remonter les escaliers qui se sont transformés en xylophone géant. Et tout ça, sous les yeux de quelques visiteurs qui jettent un dernier coup d’œil au grand terrain de jeux que représente l’expo, « tiens, elle a compris ».

Une fois de plus, il faut bien que je modère mon enthousiasme car je sens bien que la Fabrica est une de ces expositions qui ne plaisent qu’aux étudiants en art et/ou design parce qu’elle met plus en avant l’idée de projet par le foisonnement qu’elle crée que l’idée de réalisation aboutie. La Fabrica ouvre le monde des possibilités.

Il semble que Blogger ne veuille pas modifier cette mise en page et préfère nous laisser ce "la" seul en haut à droite. Mille excuses, je n'arrive pas à lui faire entendre raison.

jeudi 26 octobre 2006

William Forsythe au Louvre

William Forsythe et Peter Welz
Retranslation/Final Unfinished Portrait (Francis Bacon)
Du 13 octobre au 11 Décembre
Au Louvre


Le dessin est geste. Le dessin est danse. Le dessin est espace.

William Forsythe s’est imprégné de l’énergie du dernier tableau inachevé de Bacon. Il s’en est imprégné et l’a retranscrite sous la forme d’une performance dansée.

La peinture, le dessin prennent alors une toute autre dimension. La performance est une superbe mise en abyme de l’élaboration picturale. Les formes, les lignes, les couleurs traduisent bien une dynamique picturale chez Bacon mais si ses œuvres sont si puissantes c’est justement parce que ces formes, lignes et couleurs vont au-delà d’une simple composition dynamique. Elles renvoient à un au-delà non perceptible sur la surface de la toile elle-même. Elles renvoient à l’énergie du peintre, à son état second nécessaire, à cette lutte contre la toile blanche dans l’espace. Elles sont l’impression bidimensionnelle de cette danse.
Avec la performance de Forsythe, la toile de Bacon n’est plus seulement image. La toile est présentée avec suffisamment de recul pour suggérer cet espace devant la toile dans lequel Bacon a œuvré. Mise en résonance avec les trois panneaux vidéo (de 4m par 5) restituant la performance de Forsythe par Peter Welz, la toile n’est plus une illustration sur laquelle on aura bien voulu mettre un titre, elle est également un moment, un temps, une rencontre dans un temps donné.

Les panneaux vidéos restituent la performance de Forsythe et nous le présentent à échelle humaine. Il y a donc une identification immédiate de l’espace qui s’opère. Un panneau reprend la performance vue du dessus, permettant ainsi de constater ou plutôt d’imaginer le résultat de la danse de Forsythe sur le papier blanc au sol. Forsythe, pinceau noir vivant, est équipé de gants et chaussures sur lesquels a été accroché du fusain. La vue du dessus est encadrée par deux autres panneaux reprenant une vue sur le côté. On perçoit ainsi les angles de cette pièce blanche.

Le double point de vue, associé au mouvement de la danse créent cette ivresse de la création grâce à une perte de repère relative. Le corps se tord et se distord dans un état second au-delà des lois de la pesanteur. Forsythe est animé par cette recherche, ce processus qui caractérise la création. Il ne s’arrête pas parce qu’il pense avoir fini mais parce qu’il a pu dégager toute l’énergie dont il était empli. Dans cette longue salle, la toile de Bacon est présentée en premier, puis viennent les trois panneaux, positionnés de manière à créer une déambulation linéaire et enfin la grande feuille blanche, résultat de la performance. La boucle est bouclée en quelque sorte. Mais ce qu’il est important de noter, ce n’est pas la ressemblance du résultat de la performance avec l’œuvre de Bacon mais simplement le fait qu’elle soit là. Forsythe n’a pas cherché à faire du Bacon, ni même à imaginer une chorégraphie correspondant à chaque trait présent sur la toile, la performance est essentiellement improvisation.


La performance de Forsythe n’existe que parce qu’elle renvoie à une œuvre picturale. Elle n’est belle que parce qu’elle est une sublimation de l’œuvre picturale. Elle ne s’en décroche pas. C’est la reconsidération de l’œuvre en deux dimensions en tant qu’élaboration spatiale qui est intéressante. La confrontation de la peinture, à la performance et à l’installation vidéo se fait parfaitement et les différents arts s’en trouvent enrichis. Retranslation/Final Unfinished Portrait (Francis Bacon) est donc à voir comme un tout. A isoler la seule performance de Forsythe, on serait déçu.

mardi 19 septembre 2006

Léviathan Thot



Léviathan Thot
Ernesto Neto
Du 15 septembre au 31 Décembre 2006
Au Panthéon




En bonne petite étudiante en art et en design que je suis,oui, oui, j’aime le travail d’Ernesto Neto, ces collants de lycra tendus par le poids d’épices ou de billes de polystyrène.
Neto forme des espaces suspendus au plafond qui se déploient comme une armée de stalactites mous. Terriblement organique et terriblement attractif.

Ces installations sont sensorielles. Les épices titillent notre odorat, la matière du lycra incite au toucher et la suspension au plafond agit comme un étouffeur de bruit, mais pas d’oppression ici, on n’est pas chez Beuys.
C’est sûr, il y a une recette Neto et elle est efficace même si elle peut sembler lassante.


Quand j’apprends qu’une installation monumentale occupe le Panthéon, je pense d’abord au volume du monument et frémit d’avance à l’idée d’une installation si grande. Et l’effet est au rendez-vous, Léviathan Thot s’inscrit dans tout l’espace du Panthéon. Il suit son plan en croix et se répand sur ces quatre nefs. La suspension en contraste avec la pesanteur des collants accentuent la hauteur du bâtiment, comme si elle devenait palpable.

Un vague souvenir du Léviathan, sorte de monstre marin. Je n’aurai pas besoin d’approfondir mes recherches car on comprend bien vite que la référence au livre de Job dans le titre de l’installation n’est un prétexte à l’inscription de l’œuvre dans le monument. Il semble que Neto soit plus intéressé par les possibilités formelles qu’offre le concept du Léviathan que par son idée en elle-même. Ses justifications métaphoriques paraissent secondaires et passablement tirées par les cheveux.

Ca y est, l’effet sensationnel est passé et la vidéo vue, il est temps de me saisir d’un guide ou autre agent du patrimoine pour lui assener ma batterie de questions.
En commençant doucement, bien sûr, « oui, c’est bien de la lavande dans les collants, il y a de la camomille aussi ». Le guide est amadoué mais pas assez pour vraiment me donner le fond de sa pensée quant à l’installation et son intégration au sein de l’architecture du Panthéon. Alors gêné, il me relègue à un collègue très très remonté contre l’œuvre de monsieur Neto. C’est un scandale, comment ose-t-on montrer ça? Ici? Non, ce Monsieur Neto, c’est un cynique, un cynique. Bien sûr, je gobe ses paroles quoiqu’un peu chamboulée. Là-dessus arrive une autre guide prête pour une visite. Messes basses « Tu vas parler de… ça? » « Non, rien à dire dessus ». Le livre d’or finit de m’achever : « L’architecture somptueuse du Panthéon est gâchée par ce truc. »

Et tous ces gens qui sont venus visiter le Panthéon…On ne voit pas grand chose du Panthéon, c’est un arrière-plan qui agit comme un contraste pour l’œuvre.

Neto en a pris un grade dans ma petite culture artistique mais il continue de me séduire. J’ai la bonne excuse d’être trop jeune je pense, pour m’engager dans un jugement sur la décision d’implanter cette installation ou non dans un monument historique tel que le Panthéon mais les questions qu’elle soulève ainsi que ses conditions (dans le cadre du festival d’automne, Neto est invité par le Ministère de la Culture) sont terriblement intéressantes au delà des lamentations habituelles « oui, et tout ça avec l’argent du contribuable ».

Libre à vous de me donner votre avis...

dimanche 3 septembre 2006

Scénographies d'architectes

Scénographies d’architectes
Du 7 juillet au 22 octobre 2006

Au Pavillon de l’Arsenal

« modifier l’espace et la matière d’un lieu pour transformer le regard porté sur les choses et transmettre un message »
christine desmoulins, critique d'architecture

" Vitrines gonflables (…) structures en lévitation (…) parcours sonore… "

Quelle intro dans ce communiqué de presse ! J’ai couru voir au Pavillon de l’Arsenal pour expérimenter toutes ces scénographies. 115 pour être précise, oui 115 et toutes réunies au premier étage, celui qui est troué par un puits de lumière. Forcément, je suis déçue parce que je n’ai pas pu rebondir sur les vitrines gonflables comme je l’espérais, non, je les ai vues en photo, ça prenait moins de place. En même temps, connaissant le lieu, à quoi d’autres j’aurais bien pu m’attendre ?
Il y a bien quelques maquettes au sol mais l’accent est mis sur la multiplication de cette trentaine de panneaux lumineux qui rythment verticalement l’espace. La suspension au plafond apporte une respiration et l’espace n’est pas saturé.

Exercice délicat pour Dominique Perrault d’organiser la scénographie d’une exposition de scénographies d’architectes mais superbe mise en abyme !
Des 115 scénographies, 65 sont présentées dans ces caissons lumineux recto verso tandis que les 50 dernières (scénographies exclusivement réalisées au pavillon de l’arsenal par des architectes de 1989 à 2006) défilent en diaporama dans un coin.

La grande majorité des scénographies ont été imaginées pour présenter les travaux de l’architecte scénographe. La scénographie est donc utilisée comme moyen d’immersion dans un univers architectural. Ainsi, Toyo Ito imagine en 2001 des colonnes lumineuses de 11m qui font office de support pour ses maquettes et d’écran pour les projections.
Certaines expositions comme la récente I’ve heard about au couvent des cordeliers par R&SIE (François Roche, Stéphanie Lavaux, Jean Navarro) s’affirment en tant qu’expérimentation, démonstration d’une théorie architecturale plutôt que d’un style en l’occurrence ici, l’architecture fractale.
La encore plus récente Morphosis, ne s’inscrit pas dans l’histoire de cette agence comme une parenthèse dans leur création ou un bilan de leur travail, la scénographie est un projet à part entière.

Il est donc intéressant de voir le dialogue qui se crée entre l’écriture architecturale et sa propre mise en scène. Comment répondre à la difficulté de présenter l’architecture, d’aider le visiteur à se projeter dans une architecture qui ne peut être déplacée pour les besoins d’une exposition sans créer un manque ?

Cependant, bien qu’elle soit majoritaire, la scénographie d’expositions d’architectes n’est pas le seul type d’expositions présenté. Quelques remarquables scénographies pour des museums d’histoire naturelle, très peu dédiée à l’art et ceci n’est pas anodin. La scénographie doit servir le discours du commissaire et non le supplanter ce qui implique un certain nombre de contraintes particulièrement frustrantes pour le scénographe surtout s’il est accessoirement architecte star.
La scénographie doit permettre à l’expo de former un tout et non une collection limitée d’objets, elle doit unifier.

L’éphémère d’une exposition temporaire est une inspiration nouvelle pour l’architecte qui doit créer avec de nouveaux enjeux et de nouvelles contraintes (relation à l’exposition permanente en terme d’image, matériau et forme en terme de transport si l’exposition est itinérante).

L’exposition voyagera à travers l’Europe à partir de fin 2006.

photo provenant du site

mardi 22 août 2006

Habiter l'art





















Art au quotidien
Habiter l’art
Du 3 juillet 2006 au 7 janvier 2007
A l’espace de l’art concret
A Mouans-Sartoux (06)


Habiter l’art… autant dire que le sous-titre de l’expo ne pouvait être plus évocateur. Mais je me demandais comment on pouvait habiter l’art ? Je savais bien qu’on pouvait en être habité mais… Et comment peut-on vivre l’art au quotidien, l’art est-il art s’il est vécu au quotidien, s’il perd son exception, sa rareté ? Son aura n’est-elle pas annulée par trop de regards habitués, oserais-je dire blasés ?

Mais l’exposition présentée à l’espace de l’art concret ne porte pas que sur l’art. Il y est aussi question de design ce qui justifie l’emploi des termes « habiter » et « quotidien » . Le principe est simple : Ruggero Tropeano, commissaire et scénographe a puisé des œuvres d’art dans la collection d’art concret de Sybil Albers et Gottfried Honegger (à l’initiative de la création de l’espace de l’art concret) et les a ensuite intégrées au côté de pièces de design mobilier provenant de différents fonds aux pièces à vivre reconstituées. Ainsi, on retrouve des sérigraphies d’Agnes Martin dans la cuisine non loin d’une highchair de droog design.

On pourrait penser que l’œuvre d’art est ainsi déssacralisée car elle ne bénéficie plus de la distance qui lui est offerte dans nos musées ou galeries. Elle est contextualisée, accrochée sur le mur blanc du séjour, comme si elle ne pouvait plus s’étendre à l’infini. Elle a terminé son chemin, le clou est planté, c’est ici qu’elle atterrit. L’œuvre n’est plus ce monde de possibilités. Et pourtant ce serait se méprendre sur la pensée de Honegger et Albers qui ont largement contribué à théoriser l’art concret. L’œuvre ne prétend pas tant à sa propre sacralisation en art concret. L’art concret s’énonce comme une philosophie sinon une utopie dont l’unique œuvre n’est pas l’aboutissement. A ce titre, l’art concret revendique ne pas apposer de hiérarchie entre les beaux-arts et les arts appliqués. L’art concret aspire à être un art total. Et c’est pourquoi on ne doit pas non plus considérer les pièces de design mobilier présentées comme des possibles œuvres d’art. La présence conjointe d’œuvres d’art et de pièces de design n’élève ni la design au rang d’art et ne rabaisse pas l’art à une pâle fonction de décoration.

Fort bien, fort bien. Alors, allons-y, habitons l’art… Mais faîtes attention tout de même. Non, pas de photo avec flash, non, et puis, vous êtes dans un espace d’exposition, donc, ne vous asseyez pas, non, même sur les tabourets Starck pour regarder la selection de vidéos de la section appelée « communication » (Buster Keaton, Jacques Tati, Roger Vadim…) , non, vous voyez, c’est mieux si vous ne touchez rien. Gloups. Alors je me retrouve finalement à déambuler entre les pièces : la cuisine, le séjour, la chambre à coucher, la salle de bains, mais aussi le commerce, la communication, le travail, l’éducation, les loisirs et le temps libre. Avec mon petit fascicule à la main pour voir à quoi correspondent les numéros. C’est un exercice un peu fatiguant mais qui est au service de la scénographie : absence de cartels. Et pourtant, je me sens bien loin de la réalité. Qui peut bien penser que quelqu’un s’est assis sur ce fauteuil, a mangé sur cette table ? L’atmosphère est vide et le visiteur se sent tel un fantôme. Tout est figé, il n’y a donc pas de place pour l’anecdotique du quotidien. Je n’ai pas le sentiment de vivre l’expérience à laquelle je m’étais préparée.

Je suis restée sur ma faim, le parti pris de l’exposition est tellement prometteur mais souffre des dures lois d’exposition dont il n’a pas pu/su faire fi. Mais je me dis que c’est possible après tout. La galerie Antonia Jannone l’a fait lors du dernier salon du design à Milan en invitant le visiteur à pénétrer dans un appartement momentanément déserté par un supposé propriétaire. L’appartement était présenté tel quel avec des miettes renversées sur le mobilier design, des vêtements étalés sur les fauteuils… Quelle expérience!

pour l'instant impossible de publier d'autres photos de l'expo

samedi 29 juillet 2006

New York New York


New york New york
Cinquante ans d’Art, Architecture, Cinéma, Performance, Photographie et Vidéo
Au Grimaldi Forum
A Monaco

« Star spreading the news, I’m leaving today, I wanna be a part of it, in old New York (…) If I can make it there, I’ll make it anywhere, it’s up to you, New York, New York!» (parce que vous savez que je l’aime cette chanson)

Après la grande exposition Super Warhol organisée en 2003, Monaco, la ville où mêmes les mamies font leur marché en robe de soirée, remet le couvert et accueille cet été pas moins de cinquante ans d’art à New York . Vaste programme.


Après la deuxième guerre mondiale, New York accueille en son sein les avant-gardes artistiques et devient capitale artistique mondiale supplantant ainsi Paris. L’exposition présente ces cinquante ans (plutôt soixante en réalité) de manière chronologique en respectant les mouvements: on y voit donc de l’action painting, de l’expressionisme abstrait, du pop art, du minimalisme et de l’art conceptuel. La présentation des 25 dernières années s’avère plus subjective à cause des fortes individualités artistiques.

La grande force de cette exposition est de présenter des œuvres très représentatives de chaque artiste. Ainsi, on peut voir entre autres la Marylin sur fond rouge de Warhol, le Monument 12 for V. Tatlin de Dan Flavin, la petite fille qui pleure de Diane Arbus, le I shop therefore I am de Barbara Kruger, le Zydeco de Basquiat… La liste est non-exhaustive. Aussi, vous n’avez pas cette frustation de reconnaître l’artiste tout en pensant que vous auriez souhaité voir une autre de ses œuvres. Il n’y a pas cette rencontre manquée.

Je suis restée longuement devant les deux Rothko présentés en vis-à-vis avec une grande toile de Morris Louis qui n’est malheureusement pas reproduite dans le catalogue.
J’ai beaucoup tourné autour d’un grand monochrome noir de Ad Reinhardt, pas si monochrome que ça et terriblement iradiant avec ces reflets bleux par endroits notamment sur la tranche.
J’ai fait des allers-retours entre les salles toutes les deux minutes pour ne pas louper la vidéo de Hans Namuth sur Pollock at work. Et encore arrivée au mauvais moment, j’ai du faire la même chose pour voir walking on walls de Trisha Brown.
Je n’ai pas osé marcher sur les tin square de Carl Andre alors qu’à Beaubourg, j’ai même pas peur mais à Monaco, tout est tellement différent.
J’ai eu mal aux yeux devant l’installation de Nam June Paik et celle de Sol Lewitt.
Je me suis amusée sur le juke-box remasterisé de Laurie Anderson, on m’a dit que j’avais le droit.
Je me les suis gelées dans la salle de Matthew Barney dans laquelle est présentée le cabinet du docteur Houdini et n’ai donc pas pu rester regarder le Cremaster 2.
J’ai observé les réactions d’un groupe de mamies monégasques devant les huit chiots String of puppies de Jeff Koons.
J’ai mangé un bonbon bleu de Felix Gonzales-Torres. Ben oui, ils sont pas spécialement bons ces bonbons mais je peux pas résister d’en gober un. Nicolas Bourriaud, si tu lis cet article, je sais, je sais, l’esthétique relationnelle!
Et à la fin, il y avait mon chouchou, John Currin avec ses femmes si allongées.


Je suis ressortie plutôt contente de cette exposition. Je ne pensais pas voir tant d’œuvres importantes. Les salles sont grandes et il y a peu de monde mais il fait peut-être un peu beaucoup très froid.
Ce qu’on peut malgré tout reprocher à cette exposition c’est le manque de parti pris, parce qu’avouez que ce n’est pas très risqué de présenter de l’art new yorkais mais on peut dire que c’est largement contrebalancé par le fait que les nombreuses œuvres sont de qualité. Oui, l’expo a du coûter une petite fortune, mais on est à Monaco, ne l’oubliez pas.
La scénographie est banale, « basée sur le plan en quadrillage de la Big Apple », banale quoi, mais, encore une fois, ce n’est pas très gênant.

En revanche, la communication est quasi inexistante, l’affiche elle-même est très minimaliste avec son dripping noir. C’est sûr que de cette manière, on évite l’aspect fourre-tout qu’aurait pu avoir ce bilan artistique mais, si on la retrouve dans les textes du catalogue, l’identité new yorkaise n’est pas apparente, elle n’est pas revendiquée. En regard, on peut penser à la récente exposition de Los Angeles à Beaubourg. L’exposition du Grimaldi Forum n’a pas cette âme mais la raison vient peut-être des artistes new yorkais eux-mêmes.
Bien que l’inventaire soit très exhaustif, on a le sentiment que l’exposition n’est qu’une occasion de voir de très grandes œuvres. Mais c’est une très belle occasion!

jeudi 27 juillet 2006

la laideur se vend mal

la laideur
se vend mal
Raymond Loewy

« Puisse le Très-Haut ouvrir enfin les yeux des Américains, mes compatriotes, afin qu’ils cessent de mettre de la mayonnaise sur des poires fraîches. Amen. »

Un petit extrait qui donne le ton de ce livre de Raymond Loewy, au cas où vous n’auriez pas déjà accroché avec le titre incisif dont je ne me lasse pas, c’est devenu un leitmotiv, eh oui, la laideur se vend mal.
Une entrée en matière plutôt négative mais ce fait est énoncé comme un constat et c’est ce constat qui est d’ores et déjà encourageant.

Raymond Loewy est français, il quitte la France pour les Etats-Unis au lendemain de guerre de 14. Le petit Raymond est curieux, ambitieux et il a de la suite dans les idées. Fasciné par la pleine expansion des modes de production américains, il s’étonne toutefois de la laideur des produits manufacturés en série. Les produits sont de qualité et en quantité mais laids. Le but des constructeurs se limite pour l’instant à ce que « ça marche ». Mais Raymond, lui, pense pouvoir améliorer l’esthétique générale de la machine tout en réduisant son coût de production et en la perfectionnant. Et avec lui, naît le métier d’esthéticien industriel.

Il regrette le manque d’imagination des fabricants. Ses idées arrivent à point nommé à l’heure où la saturation est proche. La concurrence guette alors le marché américain et Loewy compte bien y ajouter son grain de sel.
On le suit à travers des exemples concrets. Il repense aussi bien une glacière électrique comme le design des paquets de Lucky Strike. La diversité des objets sur lesquels il travaille est sans limite, son bon sens envahit les foyers américains. L’étendue des domaines sur lesquels il intervient est très large car il reste en dehors de toute entreprise, il entretient donc des rapports de conseillers face à ses clients.
Les étapes de son travail sont clairement énoncées, de l’étude du marché, au produit fini en passant par l’esquisse et la maquette. L’organisation rigoureuse dont il fait preuve liée à une extraordinaire volonté qui relève même de l’acharnement rendent compte d’un goût pour le travail bien fait où l’à peu près n’a pas lieu d’être. Loewy devient vite un homme d’affaires et son destin se transforme en success story.

Au débat sur l’harmonie entre la fonction et la forme, il est évidemment partisan de la beauté par la fonction (n’oublions pas que nous sommes dans les années 30-40-50) mais il tient à aller plus loin en énonçant : « la Beauté par la Fonction ET la Simplification ».

Tout est présenté de manière si concrète qu’on apprend réellement de façon très agréable tant le ton du livre est…rebondissant ! Il serait d’ailleurs bien difficile de le classer, est-ce une autobiographie ? un peu, oui, un traité sur le design industriel ? aussi, oui, mais c’est également une étude sociologique sur les drôles de mœurs de nos amis les Américains, un bon cours sur les techniques de ventes et vous pourrez également y retrouver les quelques recettes de cuisine préférées de monsieur Raymond Loewy ainsi qu’un petit recueil d’histoires drôles. Si, si.
Le tout agrémenté de reproductions photographiques évidemment, puis de croquis de l’auteur himself et chose que j’ai apprécié tant j’ai trouvé cela inhabituel, un mini-cours de typographie à chaque chapitre.
Loewy a marqué son temps en contribuant pour une large part à la conception de produits manufacturés outre-atlantique, mais il reste encore d’actualité tant ses idées découlent du bon sens.



mardi 4 juillet 2006

L'origine du Monde

L'Origine du Monde
Histoire d'un Tableau de Gustave Courbet
De Thierry Savatier

Petit inventaire des diverses activités de la civilisation métrolienne le matin :
Il y a ceux qui dorment encore, quelques-unes tentent de parfaire leur maquillage, d’autres écoutent de la musique, certains ne font rien, les autres lisent. Tout le monde se jauge, on regarde dans le miroir de la blonde à paillettes pour constater que le mascara bleu, décidément ce n’est plus possible, on fredonne très intérieurement la musique qui émane du casque ambulant à notre droite, on lit par-dessus l’épaule de son voisin et on tente d’établir son portrait psychologique grâce au seul titre de son livre (comment ça, vous ne faîtes pas ça ?).

Moi, je lisais l’Origine du Monde, Histoire d’un tableau de Gustave Courbet.

Avec une petite reproduction en couverture. Je l’avais acheté dans le but de mieux connaître son exégèse. J’avais quelques restes de son histoire : commandé par Khalil Bey, également possesseur du Bain Turc d’Ingres, caché par un rideau de velours rouge, il s’était trouvé dans les mains de Lacan, célèbre psychanalyste avant d’atterrir au Musée d’Orsay. Un peu rapide, non ? Mes restes du lycée. Et c’était justement ça le problème, le lycée.

Je me rendais compte au fil de la lecture que je ne savais pas comment regarder l’Origine du Monde. On me l’avait présenté vers 15-16 ans, âge auquel soit vous pouffez, soit vous feignez de ne pas être offensé, mais vous êtes rarement subjugué par sa beauté car l’œuvre vous est présentée d’un point de vue historique, le rapport que vous entretenez avec elle n’est donc pas direct. Et depuis, j’avais conservé ce point de vue historique.

Quand enfin, j’allais la voir au Musée d’Orsay, j’étais d’abord confrontée à sa petite taille. Le tableau cessait d’être une image et devenait objet et je comprenais ainsi au-delà de toute théorie qu’on ait pu le convoiter en tant qu’objet de désir. J’imaginais le rideau puis l’autre cache en bois peint en trompe-l’œil par André Masson. J’imaginais son poids, je l’imaginais dans un intérieur plus personnel que ne l’est ce grand mur.

Je n’ai pas eu l’occasion d’aller revoir l’Origine du Monde après avoir lu le livre. Mais je me souviens d’une grande toile à ses côtés, l’enterrement à Ornans ?, je sais qu’il n’est pas loin. Les regards en biais des visiteurs qui feignaient de s’intéresser à la toile voisine. Il y avait ceux qui s’insurgeaient, les pères de famille qui éloignaient leurs enfants .Il y avait aussi ceux qui s’approchaient pour franchement examiner la toile avec dans leur attitude, une sorte de provocation du genre « moi, je sais, non je ne suis pas choqué », comme si en connaissant le tableau et son histoire, ils n’avaient plus aucune barrière et pouvaient aller au-delà de la contemplation. Et bien sûr, ils en rajoutaient. Ils ne considéraient plus le tableau comme objet de désir, c’était un nu historique à examiner et leur attitude face à la toile en devenait obscène. Mais n’est-ce pas là que réside l’ignorance ? A trop vouloir faire entrer l’œuvre dans la culture, on la dénature et elle perd son sens de l’interdit.
La toile n’est pas exposée dans un espace à l’abri des regards et le visiteur qui la contemple le fait à la vue de tous. Certains, même cultivés, sont certainement gênés devant cette toile et tente d’annihiler cette sexualité affirmée en examinant la toile, en la replaçant dans un contexte historique, en pensant que leur attitude mettra une distance mais elle ne fait que mettre en évidence cette gêne et rend celle-ci obscène.
Quant à savoir si l’œuvre doit être exposée autrement, ça n’est pas de mon ressort de répondre à cette question. Simplement, en l’exposant aussi ouvertement, le musée tente de la minimiser en la mettant sur le même plan que les autres toiles de Courbet.
La lecture du livre m’a permis de comprendre les différentes positions qu’ont eu ses différents spectateurs. Je dois avouer que j’ai survolé son histoire aux alentours de la deuxième guerre mondiale, mon but n’était pas de suivre le tableau à la trace.

Voilà. Et moi j’étais là dans le métro avec mon livre. Au début je ne le cachais pas, pensant qu’une grande majorité connaissait ledit tableau mais après quelques murmures « dis donc, qu’est-ce qu’elle lit la demoiselle ? » j’écrasais sa couverture sur mes genoux pour ne pas être dérangée. Quelques fois, histoire de sonder un peu mes co-passagers, je le sortais ouvertement. Je n’ai souvenir de personne ayant reconnu le tableau. C’est à cause du regard des gens dans le métro que j’en suis venue à me poser ces questions. Je pouvais me comporter comme ces personnes dont j’ai parlé plus haut et étudier l’histoire de l’origine du monde en affichant la une de mon livre. Mais le plus souvent j’ai préféré la cacher, que l’acte de lire soit déjà quelque chose de plus intime, plus secret et non soumis aux interprétations de mes voisins. Je prenais cela très à cœur. Je tenais à ce que ma position devant la toile soit contemporaine et non historique.

jeudi 29 juin 2006

Lakkat, Anri Sala

Anri SALA
LAKKAT, 2004

Dimanche après-midi. Il n’y a pas foule au Mac Val et c’est tant mieux. On respire. La collection est intéressante, les artistes sont ce qu’on pourrait appeler des artistes « annexes », connus mais pas archi-connus. Cette présentation a le mérite d’élargir le paysage artistique contemporain.
On se penche donc plus volontiers sur les œuvres dont on a souvent le sentiment que leurs auteurs ont été injustement oubliés des grandes expositions, on déambule, on erre avec un regard frais. On a le temps d’être comme interpelé par chaque œuvre. Pas besoin de pousser, pas besoin d’attendre son tour. Oui, c’est un peu la liberté, le Mac Val…
Sur la mezzanine, le silence est percé par un répétitif« Lakkatak, lakkatak, lakkatak … » provenant d’une salle de projection. La voix claire et perçante d’un enfant, l’accent rond africain et la volonté qui s’accroche à chaque répétition du [k]. Il en ressort une certaine musicalité, un chant qui rebondit sans jamais être tout à fait le même à chaque répétition. Et il y a quelque chose d’hypnotisant dans cette répétition, la preuve en est que cela fait déjà quelques semaines que je l’ai entendue mais l’air, l’intonation trottent encore dans ma tête.
C’est une vidéo. L’enfant travaille avec un répétiteur. C’est en wolof (langue sénégalaise) et « làk-kat » signifie « celui qui parle une autre langue que celle de l’endroit d’où il vient » traduit en français par « charabia ». La voix du répétiteur, plus grave, plus sage, s’efface pour ne plus laisser entendre que les répétitions maladroites de l’enfant. Le spectateur se retrouve dans une position d’apprentissage de la langue, aidé par les sous-titres mais confronté aux différences qu’il existe dans la matérialité-même de chaque langue.
A ce sujet, voici une réflexion sur la langue étrangère extraite de L’empire des signes de Roland Barthes :

« Le rêve : connaître une langue étrangère (étrange) et cependant ne pas la comprendre : percevoir en elle la différence, sans que cette différence soit jamais récupérée par la socialité superficielle du langage, communication ou vulgarité ; connaître, réfractées positivement dans une langue nouvelle, les impossibilités de la nôtre ; apprendre la systématique de l’inconcevable ; défaire notre « réel » sous l’effet d’autres découpages, d’autres syntaxes ; découvrir des positions inouïes du sujet dans l’énonciation, déplacer sa topologie ; en un mot descendre dans l’intraduisible, en éprouver la secousse sans jamais l’amortir[…]
La langue inconnue, dont je saisis pourtant la respiration, l’aération émotive, en un mot la pure signifiance, forme autour de moi, au fur et à mesure que je me déplace, un léger vertige, m’entraîne dans son vide artificiel, qui ne s’accomplit que pour moi : je vis dans l’interstice, débarrassé de tous sens plein.
»

Au-delà de l’accent, certains sons ne sortent pas. L’enfant essaye mais le « leer » qui signifie « clair » n’arrive pas à sortir, il dit « reer » qui signifie « souper ». L’exercice prend l’allure d’un duel musical entre les deux voix scandé par le rythme de la répétition. La prononciation et son déchiffrage s’avèrent être des obstacles tangibles à l’apprentissage d’une langue. Ils peuvent même nuire à la compréhension des concepts liés à cette langue.
Sala nous rappelle qu’une langue n’est pas seulement mentale et que sa prononciation influe sur son organisation rationnelle.
Si l’on ne peut pas prononcer un son (que ce soit du à notre incapacité à l’articuler ou même à comprendre comment un tel son peut être produit), cela a-t-il une incidence sur notre compréhension du concept véhiculé par le mot ?

Tout le vocabulaire lancé par le répétiteur tourne autour de la couleur de peau, l’autre, l’étranger : « xees » (clair de peau) ; « nàak » (l’autre), « toubab » (l’homme blanc)… Des concepts, des notions dont les limites sont arbitrairement définies.
A cela s’ajoute l’art difficile de la traduction qui fait partie intégrante de l’œuvre par le biais des sous-titres.
Il existe en effet quatre versions de Lakkat : une française, une allemande, une anglaise et une américaine, seuls les sous-titres changent. « A chaque fois, Anri Sala a laissé le traducteur adapter au plus juste son interprétation, frottant le wolof aux langues de la colonisation. Ainsi de « Toubab » qui en wolof signifie l’homme blanc, probablement à la suite d’un glissement à partir du mot français toubib, le médecin. En anglais américain, le traducteur a préféré opter pour « big white hope » . A l’approximation des enfants et aux errances du spectateur se superpose la liberté du traducteur dans l’usage de ses propres langues. » Pour traduire, il faut trouver une correspondance de concept entre deux langues, s’il n’y en a pas, il faut la trouver, c’est là que réside la difficulté de l’interprétation.
La citation est extraite du feuillet offert aux visiteurs à l’entrée de la salle de projection. Cela participe à la grande campagne de communication lancée par le Mac Val, (allez jeter un coup d’œil sur leur site ). L’idée avec ces « c’est pas beau de critiquer » est de laisser un critique d’art s’emparer d’une œuvre et nous en communiquer son ressenti. Pari réussi, sans cela je n’aurais probablement pas poussé la recherche moi-même et serais passée à côté de la profondeur de l’œuvre.

illustration: des papillons viennent s'accrocher au néon tout au long de l'exercice avec le répétiteur

dimanche 18 juin 2006

Designers' days

Designers' days
du 8 au 11 Juin 2006
Vous l’avez loupé, et je vous en parle trop tard, oui, la vie est dure, préparez-vous à être jaloux. Mais au moins, peut-être que vous penserez à y faire un tour l’an prochain, ce sera encore mieux je pense. Je veux parler des designers’ days.Les designers’ days ? Mais qu’est-ce ?

Les designers' days, c’est encore une de ces manifestations pseudo-artistico-culturello-designo qui pullulent aux mois de mai-juin, on a aussi le fooding dans un autre genre (le 25 juin à Saint-Paul). Bref, j’ai l’air méchante comme ça, mais les designers' days, c’est bien. En gros, tous les magasins de design (attention magasins et pas galeries, le statut est différent bien que les magasins de design tendent très fortement vers les galeries dans leur présentation, mais vous m’avez comprise) parenthèse trop longue, je reprends, presque tous les magasins de design de Paris y participent. Le thème imposé cette année était : voyage…
Partant de cela chaque magasin fait appel à un scénographe et/ou designer pour repenser l’agencement de l’espace intérieur, la mise en valeur de certaines pièces du mobilier plus en rapport avec le thème imposé, et pourquoi pas produire certains meubles pour l’occasion.

Certains s’en sortent mieux que d’autres, je pense par exemple à Cassina, l’éditeur à l’angle de boulevard Saint-Germain et de la rue du Bac, qui a transformé son canapé aspen (Jean-Marie Massaud) en aile d’avion, résultat : 3 paires de canapé, 3 chaises, des petites lumières qui clignotent font 3 avions disposés de telle manière dans la boutique qu’ils reproduisent l’enchaînement des positions de l’avion à l’atterissage. Une sorte de décomposition cinétique du mouvement. C’est très simple et efficace. Dans le registre des déceptions, Kartell, avec ces sièges recouverts d’un tissu pseudo-indien, oui, le thème c’était le voyage, bon.

Certaines boutiques ne semblent avoir participé à la manifestation que pour attirer un peu plus de monde grâce au panneau rose fluo designers' days planté devant leur entrée. Il y a ces boutiques-là et il y a Ligne Roset. On reste dans le coin, toujours rue du Bac, eh oui, quand on regarde le plan, c’est indéniable, il fallait être rive gauche.


Ligne Roset, scénographie signé Alban Gilles et pour l’occasion il a créé un fauteuil. Les vitrines à l’extérieur le présentent en lévitation. On entre et au rez-de-chaussée, encore un de ces trucs qui fait de la fumée, très, très utilisé cette année la fumée. Mais le mieux, après avoir essayer tous les fauteuils et canapés à chaque étage, c’est de monter au dernier. Au 3ème, vous êtes en première classe dans un avion. Vous arrivez pouilleux, oui, il fait chaud, mais l’air est conditionné, la lumière est bleue, une hôtesse vous souhaite la bienvenue, vous invite à vous asseoir et vous sert un rafraîchissement. Trop bien. Il y a même le marquage lumineux au sol. Tout le monde apprécie.

Après ce petit instant de calme, vous gargouillez, vous avez faim, il faut manger. Là encore, designers’ days arrive à la rescousse. Now on the road, le camion design à vivre abrite une installation, enfin, un truc quoi, du design culinaire de Marc Bretillot. Apparemment, le camion se serait déplacé un peu partout dans Paris durant les quatre jours de la manifestation. C’est une expérience culinaire, elle dure une demi-heure, réservée à 8 convives. 4 personnes s’installent debout, de chaque côté d’un mince tapis-roulant rouge. Vous connaissez le principe, comme dans les sushi bar, la nourriture défile, on se sert. Mais là, le menu, l’ordre est pensé par le designer. Le tapis roule sur lui-même et chaque déchet tombe dans la poubelle située à son extrémité.

Huit verres arrivent, chacun contenant un baba au rhum sur lequel se déverse petit à petit une infusion à l’hibiscus, suivent huit paires de baguettes pour se saisir du baba au rhum, l’infusion avalée. Mais il faut que ça infuse, on laisse tout ça de côté pour le moment. Sur une feuille de chou, du caramel mou au beurre-salé enrobe une olive noire confite. Un morceau de cantal troué, sur lequel on est venu apposer une bulle de gelée de vin jaune, on s’en sert comme d’une loupe pour lire la petite phrase imprimée sur une lamelle de rhodoïd, c’est poétique évidemment, la loupe marche et en plus c’est bon. Une émulsion grise de coquillages sur une cuillère noire, du brochet noir. Des gâteaux, café et citron safran. Un petit verre en plastique est renversé (c’est fait exprès) s’en dégorge une coulée de chocolat au poivre (je ne l’ai pas senti). Voilà, c’est allé super vite, il y a des choses meilleures que d’autres, vous l’avez compris. L’infusion, le baba et hop.

Mais quelle idée ! Marc Bretillot est professeur à l’ensad de Reims dans une nouvelle section qui fait beaucoup parler d’elle depuis quelques années : le design culinaire. Il sera sûrement présent lors du fooding. En attendant le concept plaît. Et tout le monde semble le connaître ce Marc Bretillot, tout d’un coup, il a l’air d’avoir plein d’amis, « Mais, il est pas là Marc ? ». Coup de pot pour ces nouveaux amis, Marc n’est pas là, leur humiliation « non, je ne me souviens pas de toi » est évitée.

Mis à part ça, les designers’ days, c’est plutôt chouette. Je n’ai pas eu l’occasion de voir les boutiques rive droite, trop éparpillées. C’est une de ces manifestations rafraîchissantes où l’on picore, on erre d’une boutique à une autre, notre sac se remplit de catalogues design gratuits. C’est un ensemble de mini-expériences à vivre et c’est nettement plus agréable dans ce cadre-là que dans un grand parc d’expositions, non ?

samedi 27 mai 2006

Le Danseur des Solitudes


Le Danseur des Solitudes
Georges Didi-Huberman
Aux Editions de Minuit


Je viens de refermer ce livre. Le danseur des solitudes. Déjà un titre évocateur. Je l’ai choisi pour le titre et pour Didi-Huberman, encore une fois, c’est un hasard qui fait que je me penche sur un de ses livres, une parenthèse heureuse après quelques petites déceptions dans mes récentes lectures. Je l’ouvre et je sais que je vais aimer, que je vais aimer le ton, que je vais aimer le sujet. Alors facilement je me laisse emportée.

Le point de départ de ce livre, j’hésite à l’appeler essai, c’est la rencontre avec ce danseur espagnol, Israël Galvàn, de sa performance chorégraphique Arena. Le sujet est subtilement amené, « on danse le plus souvent pour être ensemble ». Et doucement, émerge ce monde fait de solitude, de flamenco, de tauromachie… Et on y plonge, on ne reste pas dans une contemplation superficielle de l’expression des émotions. « Dans l’arène on est nu, et en même temps on est revêtu d’une interprétation, celle que demande l’œuvre. On est à nu parce qu’on est dans la clarté de l’expression ».

On ne nous rabâche pas de vieux discours sur le rapport à la vie, à la mort, aux passions. C’est bien plus subtil. Il n’y a pas de lieu commun sur le flamenco et encore moins sur la tauromachie. On est saisi.

On plonge dans un monde plus que dans un genre de danse. « Danser seul donc. Mais pour danser, au pluriel, ses solitudes. Refuser de plier son corps à la contrainte de l’unique et l’unité. Tout faire, en revanche, pour se plier-déplier sans cesse, pour se multiplier soi-même. »

On comprend le rapport de la danse aux mots sans aucune intellectualisation trop lourde.
Les pages sont ponctuées de ces mots en italiques, des mots en espagnol parce que c’est dans cette langue que s’exprime toute la multiplicité des sens. Ces petites lettres penchées, leur sonorité à la fois chantante et franche, les mots en italiques apparaissent comme des incisions dans le flot restant des mots droits et ronds qui remplissent les pages. Comme si à certains endroits, on avait gratté les mots pour revenir à la source de leur signification. Ce phénomène (mettre les mots espagnols en italique) est tellement répété qu’il en donne cette impression presque rétinienne.
Didi-Huberman explore les mots, ils les décortiquent pour nous dévoiler toute leur richesse sémantique. Ils les pèsent comme chacun des mouvements du danseur, comme chacune des impulsions du torero.
Et puis on approfondit bien sûr les notions de duende si chère à Federico Garcia Lorca, le duende cette force sous-jacente et le temple, une manière d’adoucir ses gestes tout en les accordant à leur puissance intérieure, le temple c’est ce qui fait que la tauromachie est un art.

Didi-Huberman décrit cette danse, cette vision du monde comme il le ferait d’une tragédie. Autour de ce monde se développe une esthétique qui relève réellement du tragique.
Je ne voudrais pas alourdir ici ce texte en paraphrasant le livre. Cela relève déjà d’un tour de force que de réussir comme le fait Didi-Huberman à approfondir ses impressions sans qu’elles perdent de leur tragique.

J’ai tenté en vain de faire une sélection de quelques citations, pour trancher je n’ai choisi que celle de Garcia Lorca :
« Il cherche son profil sûr,
Et le rêve le désoriente.
Il veut chercher son beau corps
Et trouve son sang ouvert. »

Je ne peux que vous conseiller de lire ce livre. Je n’avais aucun nom de torero en tête, je ne connaissais même pas Israël Galvàn (je crois même que je vais attendre un peu avant de me renseigner), et pourtant on ressent les choses même quand on n’y comprend pas grand chose. Je voudrais écrire comme Didi-Huberman, m’emparer d’un sujet, le choisir, le porter comme il le fait.

A déconseiller évidemment aux Brigitte Bardot et autres. Evidemment.


mardi 23 mai 2006

Ann-Veronica Janssens

Ann-Veronica Janssens
Du 29 avril au 27 mai 2006
à la galerie Air de Paris


En ce moment, à la galerie Air de Paris, une artiste belge, Ann-Veronica Janssens. Une artiste de la lumière.
Je l’avais découverte dans l’exposition Aux origines de l’abstraction au Musée d’Orsay en 2003 . Son installation servait alors de préambule à l’exposition, elle servait à dire, vous entrez dans la couleur, la lumière, c’est une expérience sensorielle. J’en avais un drôle de souvenir. Son installation s’étendait sur toute la pièce, une lumière colorée changeante sûrement projetée grâce à des néons derrière les murs. A l’époque, je ne m’étais pas demandé comment le dispositif fonctionnait .

Il y avait donc cette pièce, la lumière qui brouille la vue, mais y’avait-il vraiment du brouillard ? Un bourdonnement aussi mais je ne sais pas s’il existait vraiment ou si je l’ai seulement ressenti. Certains visiteurs ne le supportaient pas et traversaient la pièce au pas de course. Moi j’y restais, comme pour m’en imprégner, chercher à mieux comprendre pour mieux m’en souvenir ensuite. C’est malheureusement flou maintenant dans ma tête. Il y avait quelque chose d’oppressant, d’oppressant parce que je ne savais pas où aller dans cette pièce.
C’était une pièce passage avec une entrée et une sortie, peu de gens s’aventuraient au-delà du chemin , peu de gens allaient voir dans les coins. J’étais pressée de rentrer dans l’exposition en elle-même, mais quelque chose me retenait également. Je ne savais pas combien de temps il fallait rester pour ressentir l’œuvre jusqu’au bout, ses vibrations, et les conditions à cet arrêt dans le temps n’étaient pas favorables. J’ aurais toujours le sentiment d’être allée trop vite. Mais c’était peut-être mieux comme ça. Et si on m’avait offert la possibilité de m’asseoir, de m’allonger, est-ce que j’aurai « atteint » l’œuvre? Avec le recul, cette œuvre me paraît irrésistible comme si elle s’échappait, qu’elle glissait hors d’atteinte et c’est peut-être sa force parce qu’en se dérobant, elle laisse présager d’un au-delà, un truc quoi, peut-être un peu mystique mais intriguant, c’est sûr.

Je suis allée voir Ann-Veronica Janssens à Air de Paris. Du brouillard, il fait chaud. L’espace est plus réduit, les installations aussi, elle me paraît plus plasticienne qu’artiste, trouvez vous-même la nuance. Grâce à des projecteurs, deux installations l’une bleue, l’autre jaune, concentrent leur lumière en une forme. Les petites particules de poussière sur lesquelles la lumière s’accroche rendent la forme visuellement palpable (enfin presque, je m’emballe un peu). La jaune tire vers le gris, elle me plaît moins. Je suis toujours séduite mais sans plus.

C’est peut-être l’espace de la galerie. Lors de ma visite, j’ai pu assisté à la « restauration » d’une des œuvres : un cube en verre contenant un liquide transparent (mélange d’eau, d’alcool et autres) dans lequel devait flotter une bulle de silicone. La bulle ne flottait plus parce que l’alcool s’était évaporé dans toute la pièce à cause de la chaleur. Les dames de la galerie armées de leurs gants mappa et d’un gobelet en plastique ont donc périlleusement remédié à ça pendant qu’à côté, on discutait du prix de l’installation entre galeristes. Intéressante visite mais pas propice au recueillement.
On peut dire qu’Ann-Veronica Janssens s’échappe encore. Cette visite ne m’a en rien déçue, au contraire, j’attends ma prochaine rencontre avec ses œuvres, curieuse.

vendredi 12 mai 2006

Les Poissons d'Ingo Maurer

Ingo Maurer
Tableaux Chinois
1989-2006
Chaque moment est original


Je me baladais dans la nouvelle expo du Centre Pompidou, le Mouvement des Images quand SOUDAIN, (oui vous aurez remarqué que mes rencontres artistiques ou autres se font toujours soudainement ou peut-être que j’en rajoute un peu, bref, SOUDAIN) des poissons, des vrais.
Des poissons rouges.
Dingue.

Par chance, il y a plein de gens de mon école, tout le monde est venu voir la soirée des jeudi’s organisée par les étudiants en style des arts déco (Ensad, je précise, au cas où) à tous, je conseille d’aller voir ces poissons parce que c’est juste dingue.

Non, mais c’est vrai, vous avez déjà vu des animaux vivants exposés ? Oui, sûrement, mais j’ai beau cherché, pour moi c’est une première. Je ne savais même pas qu’on avait le droit. Ca y est, un flot de questions m’envahit, je me défoule sur le pauvre monsieur qui surveille à côté histoire qu’on ne balance pas quelques miettes dans le bassin plat. Je comprends vite qu’il me prend pour une militante pour les droits des animaux « Est-ce qu’on a le droit de les nourrir ? Qui s’occupe de ça ? Qui change l’eau du bassin ? S’il y en a un qui meurt, qu’est-ce qu’il se passe ? » mais je veux juste savoir si l’artiste a laissé des consignes quant à la conservation si j’ose dire de son œuvre. Parce que moi les poissons rouges…
Il ne sait pas.
Déception. J’en appelle à votre aide si vous en savez plus sur le sujet.

Ca me refroidit et je me rends compte que je n’ai même pas considéré l’œuvre en elle-même trop surprise que j’étais de voir des animaux vivants exposés. Elle rentre dans le champ de l’installation. Il y a le bassin à environ un mètre de hauteur et projetées perpendiculairement sur le mur, les ombres de ce dernier et ceci grâce à une caméra sous le bassin relayée par un haut projecteur. J’ai bêtement vérifié ce système en avançant la main au-dessus du bassin, un mouvement brusque mais retenu suivi d’un raclement de gorge du monsieur qui surveille qui me prenait toujours pour une folle m’a fait comprendre que je devais être plus discrète.

Le bassin est si peu profond que les poissons flottent presque en surface, ils nagent horizontalement. Ils sont donc toujours visibles par le spectateur et renvoient une lumière orange constante. Le bassin est surface et c’est pour cela qu’il fonctionne si bien avec son ombre projeté perpendiculairement sur le mur qui est une sorte de négatif. A cela s’ajoutent l’effet miroir, le jeu graphique grâce aux cercles concentriques dus au mouvement des poissons. Vous pouvez y voir de la poésie : une œuvre en perpétuel mouvement… comme c’est beau. Tout un univers graphique, chromatique, très chinois en fin de compte. Et il y a sûrement des éléments de signification qui m’échappent tels que le symbole du poisson dans la culture chinoise. Les miroirs ovales plutôt que ronds apportent une fluidité et une légèreté au mouvement et s’accordent parfaitement avec la queue argentée des poissons rouges. Oui, c’est beau, même si on décortique tout en parlant des reflets, du graphisme, ça reste beau.
Mais est-ce que c’est plus beau qu’un aquarium ? En quoi cette installation s’en différencie ? Je suis sûre qu’il existe des aquariums alliés à un système de projection tout aussi pointu chez des particuliers. Et pourtant il doit bien y avoir une différence qui va bien au-delà du fait que l’installation est présentée en tant qu’œuvre dans un musée. Il y a un glissement qui s’est fait, une rencontre entre les fameux tableaux chinois reprenant la symbolique du poisson, et l’aquarium trivial de Monsieur Machin (supposons que Monsieur Machin est quand même assez fortuné. Un rencontre faite, non pas sur une table de dissection mais dans le champ contemporain de l’installation.

Je n’ai pas de réponse. Mais je trouve ça génial toutes les questions qu’une installation comme celle-ci peut soulever. Il y aura toujours des gens pour s’indigner « mais comment ose-t-on présenter cela comme de l’art ? » et d’autres qui seront séduits.
Un autre point, c’est la durée, l’inscription de l’œuvre dans le temps. Sur le cartel : 1989-2006. On voit souvent des cartels à trait d’union (notamment dans l’expo Los Angeles à Beaubourg également) mais ils disent autre chose. La plupart du temps, l’artiste réalise une œuvre, nous avons la première date. Mais cette œuvre est plus l’illustration d’un concept que le résultat d’une action finie. C’est donc le concept qui fait trait d’union car, dans le cadre d’une nouvelle exposition, l’œuvre est non pas copiée à partir de la précédente mais plutôt re-présentée avec toujours comme point de départ ce concept.
Avec les tableaux chinois d’Ingo Maurer, on oublie de temps de la re-présentation, le « re » indique un temps fini alors que les tableaux chinois parce qu’ils intègrent des poissons vivants produisant un mouvement perpétuel, sont dans une continuité. Même s’il y a sûrement des temps où l’installation est vide, sans poisson, le mouvement et le vie des poissons lors de son exposition induisent un sentiment de continuité au-delà du concept. Le sous-titre de l’œuvre fait d’ailleurs référence à cette continuité en mouvement : chaque moment est original. Une sorte d’axiome.

Cette œuvre a eu le mérite de m’intriguer. Je ne sais pas si on peut dissocier la poésie qu’elle véhicule du fait que c’est quand même dingue de voir de poissons vivants dans un musée. Est-ce que le but de l’œuvre n’est pas manqué si la première chose que l’on remarque ce sont les poissons ? La poésie n’est-elle pas contredite par l’aspect spectaculaire de voir des poissons rouges ?

Une dernière question : comment se fait-il que le bassin soit si propre ?

dimanche 7 mai 2006

Qu'est-ce qu'on s'emmerrrrrde!

Qu’est-ce qu’on s’emmerrrrrrde !


Jeudi soir. 19H30 quai de Valmy, un vernissage à la librairie artazart. Du monde, beaucoup de monde, et peu de place. J’accède avec quelques difficultés aux affiches présentées. On expose Catherine Zask, son travail typographique.

Les affiches pendent élégamment de profil, un peu bizarre pour des affiches. Difficile d’avoir du recul pour les voir même en rentrant le ventre. Et il fait chaud, le ventilateur est resté à l’entrée, oui, parce que si l’on s’imaginait dès l’entrée la chaleur ambiante, on ne rentrerait pas, une fois entré, on est coincé, il faut bien aller voir.
Bref, je tâte les affiches, les regarde de biais, un mobile en bois pend, il projette une ombre intéressante sur le mur blanc, sorte de mise en abyme de la typo, la typo matière. Je ne peux pas rester, trop chaud. Je sors avec mon verre et mes cacahuètes.
Dehors, les gens s’agglutinent autour du canal saint-martin. Le parc n’est pas loin mais ça a l’air plus branché de s’entasser sur les pavés.

Je tente quelques entrées dans la librairie, les plus courtes possibles. Une chasse aux bouquins en apnée. J’en ressort triomphalement avec deux-trois trophées dont le livre de Catherine Zask dont je peux mieux apprécier le travail grâce au recul. Il est temps de partir.

MAIS SOUDAIN, un énergumène en salopette blanche crie au milieu de cette foule branchouille. Je n’entends pas tout, mais il est question de pièce de théâtre et c’est dans 5 minutes. Et il s’en va, il galope. « Salopette blanche, hé ! » Il ne se retourne pas mais s’engouffre dans un bistrot. C’est un peu un remake d’Alice au pays des merveilles que je vous fais là. On le suit, oui, on, je ne vais pas dans les lieux branchouilles toute seule, bref, on court après lui.

Le bistrot : la patache. Alors la pièce dure 30 minutes, gratuite ( peut-être une petite aide quand même à la fin) elle s’appelle : La Première Enquête de l’Histoire. Là je serai tentée de vous raconter, enfin de toutes façons, l’histoire vous la connaissez. Trois comédiens dont deux habillés en blanc et qui s’emmerdent ferme jusqu’à l’arrivée du troisième, celui qui mène l’enquête. Allez je n’en dis pas plus sur l’histoire. On rit devant la niaiserie surjouée, et pour les chansons accompagnées à la guitare (Qu’est-ce qu’on s’emmerrrrrde ! Qu’est-ce qu’on s’emmerde, qu’est-ce qu’on s’emmerde, qu’est-ce qu’on s’emmerde !). Le verre de rouge aide aussi. Mais c’est un chouette moment. Le banc du bistrot tangue de nos fous rires.

Trois comédiens et peu de moyens mais le résultat en vaut la peine. Histoire de vous inciter à suivre le lapin blanc quand il vous interpelle.

L’auriez-vous suivi ? Ca aurait été dommage de louper ça.

Si vous voulez devancer le lapin, quelques infos :
Jeudi 11 et 18 mai à 20h30
La Patache
60 rue de Lancry - 75010 Paris
Vendredi 12 et 19 mai à 19h30
Le Moulin à Café
8 rue Ste Léonie – 75014 Paris

et aussi leur site


mardi 2 mai 2006

Drawing Restraint 9


Drawing Restraint 9
De Matthew Barney
Avec Björk et Barney

Drawing Restraint 9, déjà, qu’est-ce que c’est que ce titre ?
Un oxymore, drawing donne à la fois le sentiment d’un mouvement, d’un glissement d’une traction mais fait également référence à l’acte créateur du dessin, restraint, la restriction. Il y a donc un élan réfréné ou c’est peut-être cette restriction qui se fait mouvement. Un oxymore qui présage de la lutte de forces, un titre qu’on ne cherche pas forcément à comprendre en regardant le film mais qui se présente comme une nouvelle variation du travail de Barney sur les contradictions.

9, encore un cycle comme le Cremaster Cycle ? Je n’ai trouvé aucune information à ce sujet, et l’idée d’un cycle contrasterait avec ce sentiment d’unicité véhiculé par l’exaltante symbiose du couple Barney/Björk.

Le synopsis (dans le communiqué de presse):
« A bord d’un baleinier japonais dans la baie de Nagasaki, une énigmatique sculpture de vaseline est retenue par un dispositif de barrières pour en préserver la forme. Deux occidentaux sont accueillis à bord du navire, sont traités avec le plus grand soin, revêtus d’habits de fourrure inspirés des tenues de mariage de la tradition Shinto. Le vaisseau est pris dans un orage. Dans l’agitation, la sculpture perd sa forme et la vaseline liquide se répand. Dans leur cabine, les deux invités se trouvent prisonniers des eaux… »

L’univers de Barney, son goût pour le détail s’adapte parfaitement au soin apporté par la tradition japonaise quant à tout ce qui relève de l’ordre des préparatifs. Et ils ont leur importance, toute la préparation est rigoureusement mise en scène et nous plonge dans un univers fantasmagorique pour aboutir à l’accouplement intellectuel du couple Barney/Björk, sorte de consécration artistique de leur union. Parce qu’il semble réellement que le film leur soit dédié. J’irai même jusqu’à dire que Barney fait preuve de galanterie en nous présentant sa femme, je ne saurai trop dire comment mais je ne pense pas fabuler pour autant mais il semble que Barney reste humble dans son rôle d’invité alors qu’il met Björk sur un plus haut piédestal, c’est une reine plus majestueuse.

Le spectateur a un rôle délicat quant à cette exhibition car il peut difficilement entrer dans le film sans être voyeur.
Dans la forme évoquée dans le synopsis, on retrouve la vaseline chère à Matthew Barney. Cet élément organique paraît d’autant plus obscène à côté du soin recherché, ce contraste participe évidemment à l’esthétique du film. La vaseline ne dégoûte pas, elle ne paraît pas extérieure à nous, elle fait référence à nos propres fluides, elle est le reflet extérieur d’un en-nous organique. C’est pour cela qu’il glisse, coule et s’insinue dans chaque recoin si parfaitement.

La forme qui la contient c’est l’emblème, l’écusson de Barney. Ce n’est pas seulement une référence à lui-même en tant qu’artiste-star, comme le serait une simple marque de fabrique. C’est plutôt comme un rappel de la base de son travail. Cette forme, une sorte de gélule à plat (je voulais essayer de le décrire plus poétiquement avec deux arcs de cercle et quelques allusions plus métaphoriques mais au fond tout le monde sait à quoi ressemble une gélule) traversée au milieu par une bande, sorte de transept. Elle a la force d’un signe cette forme. Selon Barney, elle représente le sexe d’un fœtus âgé de 6 à 7 semaines alors que la différenciation n’a pas encore eu lieu. Il y a donc opposition par la bande mais unité du signe. Les invitations envoyées au deux occidentaux reprennent cette forme, mais on peut surtout la voir plus figurative dans l’affiche. Voilà, je pense que là, ça se passe de commentaires. Tout le blabla que j’ai pu vous faire plus haut est contenu dans cette affiche et même bien plus.

On parle donc d’androgynie, et encore, le terme est tellement connoté qu’il ne reflète pas suffisamment l’obsession de Barney quant à l’indifférenciation sexuelle (dois-je vous rappeler la définition de cremaster ?: mouvement descendant des testicules) , mais également d’hybridation. Cette hybridation permet entre autres d’intellectualiser la rencontre charnelle du couple.

Au-delà de toutes critiques, Drawing Restraint 9 est un film extrêmement riche en signification. Tout est tellement pensé que cela en devient vertigineux.
Juste un mot sur le contexte, le japon, le baleinier, les traditions… Il y a également un discours et une histoire sur la pêche à la baleine et sur ce bateau le Nishin Maru, je l’ai trouvé secondaire. Non pas qu’il soit pauvre mais il agit en tant que contexte, contexte extrêmement bien illustré mais seulement pour servir en tant que contexte. Avec les rappels tels que la forme de la gélule, la vaseline, il semble que l’univers de Barney pourrait s’implanter dans n’importe quel contexte, c’est tout un monde, Un monde dont on semble être coupé, on reste spectateur, et le spectacle nous renvoit à ce rôle.

J’allais oublier la musique de Björk qui colle parfaitement au film en s’inspirant du théâtre Noh, et en intégrant des anciens instruments japonais…Drawing Restraint 9 est un film complet. Je ne pense pas que ce soit le genre de film que l’on recommande. Je ne saurai pas dire si j’ai aimé, je ne regrette pas de l’avoir vu. Barney me dérange dans son esthétique nombriliste, il fait peur c’en est presque totalitaire comme univers. Mais sa vision forme un tout tellement étranger de ce que l’on connaît qu’il s’impose à nous.