samedi 27 mai 2006

Le Danseur des Solitudes


Le Danseur des Solitudes
Georges Didi-Huberman
Aux Editions de Minuit


Je viens de refermer ce livre. Le danseur des solitudes. Déjà un titre évocateur. Je l’ai choisi pour le titre et pour Didi-Huberman, encore une fois, c’est un hasard qui fait que je me penche sur un de ses livres, une parenthèse heureuse après quelques petites déceptions dans mes récentes lectures. Je l’ouvre et je sais que je vais aimer, que je vais aimer le ton, que je vais aimer le sujet. Alors facilement je me laisse emportée.

Le point de départ de ce livre, j’hésite à l’appeler essai, c’est la rencontre avec ce danseur espagnol, Israël Galvàn, de sa performance chorégraphique Arena. Le sujet est subtilement amené, « on danse le plus souvent pour être ensemble ». Et doucement, émerge ce monde fait de solitude, de flamenco, de tauromachie… Et on y plonge, on ne reste pas dans une contemplation superficielle de l’expression des émotions. « Dans l’arène on est nu, et en même temps on est revêtu d’une interprétation, celle que demande l’œuvre. On est à nu parce qu’on est dans la clarté de l’expression ».

On ne nous rabâche pas de vieux discours sur le rapport à la vie, à la mort, aux passions. C’est bien plus subtil. Il n’y a pas de lieu commun sur le flamenco et encore moins sur la tauromachie. On est saisi.

On plonge dans un monde plus que dans un genre de danse. « Danser seul donc. Mais pour danser, au pluriel, ses solitudes. Refuser de plier son corps à la contrainte de l’unique et l’unité. Tout faire, en revanche, pour se plier-déplier sans cesse, pour se multiplier soi-même. »

On comprend le rapport de la danse aux mots sans aucune intellectualisation trop lourde.
Les pages sont ponctuées de ces mots en italiques, des mots en espagnol parce que c’est dans cette langue que s’exprime toute la multiplicité des sens. Ces petites lettres penchées, leur sonorité à la fois chantante et franche, les mots en italiques apparaissent comme des incisions dans le flot restant des mots droits et ronds qui remplissent les pages. Comme si à certains endroits, on avait gratté les mots pour revenir à la source de leur signification. Ce phénomène (mettre les mots espagnols en italique) est tellement répété qu’il en donne cette impression presque rétinienne.
Didi-Huberman explore les mots, ils les décortiquent pour nous dévoiler toute leur richesse sémantique. Ils les pèsent comme chacun des mouvements du danseur, comme chacune des impulsions du torero.
Et puis on approfondit bien sûr les notions de duende si chère à Federico Garcia Lorca, le duende cette force sous-jacente et le temple, une manière d’adoucir ses gestes tout en les accordant à leur puissance intérieure, le temple c’est ce qui fait que la tauromachie est un art.

Didi-Huberman décrit cette danse, cette vision du monde comme il le ferait d’une tragédie. Autour de ce monde se développe une esthétique qui relève réellement du tragique.
Je ne voudrais pas alourdir ici ce texte en paraphrasant le livre. Cela relève déjà d’un tour de force que de réussir comme le fait Didi-Huberman à approfondir ses impressions sans qu’elles perdent de leur tragique.

J’ai tenté en vain de faire une sélection de quelques citations, pour trancher je n’ai choisi que celle de Garcia Lorca :
« Il cherche son profil sûr,
Et le rêve le désoriente.
Il veut chercher son beau corps
Et trouve son sang ouvert. »

Je ne peux que vous conseiller de lire ce livre. Je n’avais aucun nom de torero en tête, je ne connaissais même pas Israël Galvàn (je crois même que je vais attendre un peu avant de me renseigner), et pourtant on ressent les choses même quand on n’y comprend pas grand chose. Je voudrais écrire comme Didi-Huberman, m’emparer d’un sujet, le choisir, le porter comme il le fait.

A déconseiller évidemment aux Brigitte Bardot et autres. Evidemment.


mardi 23 mai 2006

Ann-Veronica Janssens

Ann-Veronica Janssens
Du 29 avril au 27 mai 2006
à la galerie Air de Paris


En ce moment, à la galerie Air de Paris, une artiste belge, Ann-Veronica Janssens. Une artiste de la lumière.
Je l’avais découverte dans l’exposition Aux origines de l’abstraction au Musée d’Orsay en 2003 . Son installation servait alors de préambule à l’exposition, elle servait à dire, vous entrez dans la couleur, la lumière, c’est une expérience sensorielle. J’en avais un drôle de souvenir. Son installation s’étendait sur toute la pièce, une lumière colorée changeante sûrement projetée grâce à des néons derrière les murs. A l’époque, je ne m’étais pas demandé comment le dispositif fonctionnait .

Il y avait donc cette pièce, la lumière qui brouille la vue, mais y’avait-il vraiment du brouillard ? Un bourdonnement aussi mais je ne sais pas s’il existait vraiment ou si je l’ai seulement ressenti. Certains visiteurs ne le supportaient pas et traversaient la pièce au pas de course. Moi j’y restais, comme pour m’en imprégner, chercher à mieux comprendre pour mieux m’en souvenir ensuite. C’est malheureusement flou maintenant dans ma tête. Il y avait quelque chose d’oppressant, d’oppressant parce que je ne savais pas où aller dans cette pièce.
C’était une pièce passage avec une entrée et une sortie, peu de gens s’aventuraient au-delà du chemin , peu de gens allaient voir dans les coins. J’étais pressée de rentrer dans l’exposition en elle-même, mais quelque chose me retenait également. Je ne savais pas combien de temps il fallait rester pour ressentir l’œuvre jusqu’au bout, ses vibrations, et les conditions à cet arrêt dans le temps n’étaient pas favorables. J’ aurais toujours le sentiment d’être allée trop vite. Mais c’était peut-être mieux comme ça. Et si on m’avait offert la possibilité de m’asseoir, de m’allonger, est-ce que j’aurai « atteint » l’œuvre? Avec le recul, cette œuvre me paraît irrésistible comme si elle s’échappait, qu’elle glissait hors d’atteinte et c’est peut-être sa force parce qu’en se dérobant, elle laisse présager d’un au-delà, un truc quoi, peut-être un peu mystique mais intriguant, c’est sûr.

Je suis allée voir Ann-Veronica Janssens à Air de Paris. Du brouillard, il fait chaud. L’espace est plus réduit, les installations aussi, elle me paraît plus plasticienne qu’artiste, trouvez vous-même la nuance. Grâce à des projecteurs, deux installations l’une bleue, l’autre jaune, concentrent leur lumière en une forme. Les petites particules de poussière sur lesquelles la lumière s’accroche rendent la forme visuellement palpable (enfin presque, je m’emballe un peu). La jaune tire vers le gris, elle me plaît moins. Je suis toujours séduite mais sans plus.

C’est peut-être l’espace de la galerie. Lors de ma visite, j’ai pu assisté à la « restauration » d’une des œuvres : un cube en verre contenant un liquide transparent (mélange d’eau, d’alcool et autres) dans lequel devait flotter une bulle de silicone. La bulle ne flottait plus parce que l’alcool s’était évaporé dans toute la pièce à cause de la chaleur. Les dames de la galerie armées de leurs gants mappa et d’un gobelet en plastique ont donc périlleusement remédié à ça pendant qu’à côté, on discutait du prix de l’installation entre galeristes. Intéressante visite mais pas propice au recueillement.
On peut dire qu’Ann-Veronica Janssens s’échappe encore. Cette visite ne m’a en rien déçue, au contraire, j’attends ma prochaine rencontre avec ses œuvres, curieuse.

vendredi 12 mai 2006

Les Poissons d'Ingo Maurer

Ingo Maurer
Tableaux Chinois
1989-2006
Chaque moment est original


Je me baladais dans la nouvelle expo du Centre Pompidou, le Mouvement des Images quand SOUDAIN, (oui vous aurez remarqué que mes rencontres artistiques ou autres se font toujours soudainement ou peut-être que j’en rajoute un peu, bref, SOUDAIN) des poissons, des vrais.
Des poissons rouges.
Dingue.

Par chance, il y a plein de gens de mon école, tout le monde est venu voir la soirée des jeudi’s organisée par les étudiants en style des arts déco (Ensad, je précise, au cas où) à tous, je conseille d’aller voir ces poissons parce que c’est juste dingue.

Non, mais c’est vrai, vous avez déjà vu des animaux vivants exposés ? Oui, sûrement, mais j’ai beau cherché, pour moi c’est une première. Je ne savais même pas qu’on avait le droit. Ca y est, un flot de questions m’envahit, je me défoule sur le pauvre monsieur qui surveille à côté histoire qu’on ne balance pas quelques miettes dans le bassin plat. Je comprends vite qu’il me prend pour une militante pour les droits des animaux « Est-ce qu’on a le droit de les nourrir ? Qui s’occupe de ça ? Qui change l’eau du bassin ? S’il y en a un qui meurt, qu’est-ce qu’il se passe ? » mais je veux juste savoir si l’artiste a laissé des consignes quant à la conservation si j’ose dire de son œuvre. Parce que moi les poissons rouges…
Il ne sait pas.
Déception. J’en appelle à votre aide si vous en savez plus sur le sujet.

Ca me refroidit et je me rends compte que je n’ai même pas considéré l’œuvre en elle-même trop surprise que j’étais de voir des animaux vivants exposés. Elle rentre dans le champ de l’installation. Il y a le bassin à environ un mètre de hauteur et projetées perpendiculairement sur le mur, les ombres de ce dernier et ceci grâce à une caméra sous le bassin relayée par un haut projecteur. J’ai bêtement vérifié ce système en avançant la main au-dessus du bassin, un mouvement brusque mais retenu suivi d’un raclement de gorge du monsieur qui surveille qui me prenait toujours pour une folle m’a fait comprendre que je devais être plus discrète.

Le bassin est si peu profond que les poissons flottent presque en surface, ils nagent horizontalement. Ils sont donc toujours visibles par le spectateur et renvoient une lumière orange constante. Le bassin est surface et c’est pour cela qu’il fonctionne si bien avec son ombre projeté perpendiculairement sur le mur qui est une sorte de négatif. A cela s’ajoutent l’effet miroir, le jeu graphique grâce aux cercles concentriques dus au mouvement des poissons. Vous pouvez y voir de la poésie : une œuvre en perpétuel mouvement… comme c’est beau. Tout un univers graphique, chromatique, très chinois en fin de compte. Et il y a sûrement des éléments de signification qui m’échappent tels que le symbole du poisson dans la culture chinoise. Les miroirs ovales plutôt que ronds apportent une fluidité et une légèreté au mouvement et s’accordent parfaitement avec la queue argentée des poissons rouges. Oui, c’est beau, même si on décortique tout en parlant des reflets, du graphisme, ça reste beau.
Mais est-ce que c’est plus beau qu’un aquarium ? En quoi cette installation s’en différencie ? Je suis sûre qu’il existe des aquariums alliés à un système de projection tout aussi pointu chez des particuliers. Et pourtant il doit bien y avoir une différence qui va bien au-delà du fait que l’installation est présentée en tant qu’œuvre dans un musée. Il y a un glissement qui s’est fait, une rencontre entre les fameux tableaux chinois reprenant la symbolique du poisson, et l’aquarium trivial de Monsieur Machin (supposons que Monsieur Machin est quand même assez fortuné. Un rencontre faite, non pas sur une table de dissection mais dans le champ contemporain de l’installation.

Je n’ai pas de réponse. Mais je trouve ça génial toutes les questions qu’une installation comme celle-ci peut soulever. Il y aura toujours des gens pour s’indigner « mais comment ose-t-on présenter cela comme de l’art ? » et d’autres qui seront séduits.
Un autre point, c’est la durée, l’inscription de l’œuvre dans le temps. Sur le cartel : 1989-2006. On voit souvent des cartels à trait d’union (notamment dans l’expo Los Angeles à Beaubourg également) mais ils disent autre chose. La plupart du temps, l’artiste réalise une œuvre, nous avons la première date. Mais cette œuvre est plus l’illustration d’un concept que le résultat d’une action finie. C’est donc le concept qui fait trait d’union car, dans le cadre d’une nouvelle exposition, l’œuvre est non pas copiée à partir de la précédente mais plutôt re-présentée avec toujours comme point de départ ce concept.
Avec les tableaux chinois d’Ingo Maurer, on oublie de temps de la re-présentation, le « re » indique un temps fini alors que les tableaux chinois parce qu’ils intègrent des poissons vivants produisant un mouvement perpétuel, sont dans une continuité. Même s’il y a sûrement des temps où l’installation est vide, sans poisson, le mouvement et le vie des poissons lors de son exposition induisent un sentiment de continuité au-delà du concept. Le sous-titre de l’œuvre fait d’ailleurs référence à cette continuité en mouvement : chaque moment est original. Une sorte d’axiome.

Cette œuvre a eu le mérite de m’intriguer. Je ne sais pas si on peut dissocier la poésie qu’elle véhicule du fait que c’est quand même dingue de voir de poissons vivants dans un musée. Est-ce que le but de l’œuvre n’est pas manqué si la première chose que l’on remarque ce sont les poissons ? La poésie n’est-elle pas contredite par l’aspect spectaculaire de voir des poissons rouges ?

Une dernière question : comment se fait-il que le bassin soit si propre ?

dimanche 7 mai 2006

Qu'est-ce qu'on s'emmerrrrrde!

Qu’est-ce qu’on s’emmerrrrrrde !


Jeudi soir. 19H30 quai de Valmy, un vernissage à la librairie artazart. Du monde, beaucoup de monde, et peu de place. J’accède avec quelques difficultés aux affiches présentées. On expose Catherine Zask, son travail typographique.

Les affiches pendent élégamment de profil, un peu bizarre pour des affiches. Difficile d’avoir du recul pour les voir même en rentrant le ventre. Et il fait chaud, le ventilateur est resté à l’entrée, oui, parce que si l’on s’imaginait dès l’entrée la chaleur ambiante, on ne rentrerait pas, une fois entré, on est coincé, il faut bien aller voir.
Bref, je tâte les affiches, les regarde de biais, un mobile en bois pend, il projette une ombre intéressante sur le mur blanc, sorte de mise en abyme de la typo, la typo matière. Je ne peux pas rester, trop chaud. Je sors avec mon verre et mes cacahuètes.
Dehors, les gens s’agglutinent autour du canal saint-martin. Le parc n’est pas loin mais ça a l’air plus branché de s’entasser sur les pavés.

Je tente quelques entrées dans la librairie, les plus courtes possibles. Une chasse aux bouquins en apnée. J’en ressort triomphalement avec deux-trois trophées dont le livre de Catherine Zask dont je peux mieux apprécier le travail grâce au recul. Il est temps de partir.

MAIS SOUDAIN, un énergumène en salopette blanche crie au milieu de cette foule branchouille. Je n’entends pas tout, mais il est question de pièce de théâtre et c’est dans 5 minutes. Et il s’en va, il galope. « Salopette blanche, hé ! » Il ne se retourne pas mais s’engouffre dans un bistrot. C’est un peu un remake d’Alice au pays des merveilles que je vous fais là. On le suit, oui, on, je ne vais pas dans les lieux branchouilles toute seule, bref, on court après lui.

Le bistrot : la patache. Alors la pièce dure 30 minutes, gratuite ( peut-être une petite aide quand même à la fin) elle s’appelle : La Première Enquête de l’Histoire. Là je serai tentée de vous raconter, enfin de toutes façons, l’histoire vous la connaissez. Trois comédiens dont deux habillés en blanc et qui s’emmerdent ferme jusqu’à l’arrivée du troisième, celui qui mène l’enquête. Allez je n’en dis pas plus sur l’histoire. On rit devant la niaiserie surjouée, et pour les chansons accompagnées à la guitare (Qu’est-ce qu’on s’emmerrrrrde ! Qu’est-ce qu’on s’emmerde, qu’est-ce qu’on s’emmerde, qu’est-ce qu’on s’emmerde !). Le verre de rouge aide aussi. Mais c’est un chouette moment. Le banc du bistrot tangue de nos fous rires.

Trois comédiens et peu de moyens mais le résultat en vaut la peine. Histoire de vous inciter à suivre le lapin blanc quand il vous interpelle.

L’auriez-vous suivi ? Ca aurait été dommage de louper ça.

Si vous voulez devancer le lapin, quelques infos :
Jeudi 11 et 18 mai à 20h30
La Patache
60 rue de Lancry - 75010 Paris
Vendredi 12 et 19 mai à 19h30
Le Moulin à Café
8 rue Ste Léonie – 75014 Paris

et aussi leur site


mardi 2 mai 2006

Drawing Restraint 9


Drawing Restraint 9
De Matthew Barney
Avec Björk et Barney

Drawing Restraint 9, déjà, qu’est-ce que c’est que ce titre ?
Un oxymore, drawing donne à la fois le sentiment d’un mouvement, d’un glissement d’une traction mais fait également référence à l’acte créateur du dessin, restraint, la restriction. Il y a donc un élan réfréné ou c’est peut-être cette restriction qui se fait mouvement. Un oxymore qui présage de la lutte de forces, un titre qu’on ne cherche pas forcément à comprendre en regardant le film mais qui se présente comme une nouvelle variation du travail de Barney sur les contradictions.

9, encore un cycle comme le Cremaster Cycle ? Je n’ai trouvé aucune information à ce sujet, et l’idée d’un cycle contrasterait avec ce sentiment d’unicité véhiculé par l’exaltante symbiose du couple Barney/Björk.

Le synopsis (dans le communiqué de presse):
« A bord d’un baleinier japonais dans la baie de Nagasaki, une énigmatique sculpture de vaseline est retenue par un dispositif de barrières pour en préserver la forme. Deux occidentaux sont accueillis à bord du navire, sont traités avec le plus grand soin, revêtus d’habits de fourrure inspirés des tenues de mariage de la tradition Shinto. Le vaisseau est pris dans un orage. Dans l’agitation, la sculpture perd sa forme et la vaseline liquide se répand. Dans leur cabine, les deux invités se trouvent prisonniers des eaux… »

L’univers de Barney, son goût pour le détail s’adapte parfaitement au soin apporté par la tradition japonaise quant à tout ce qui relève de l’ordre des préparatifs. Et ils ont leur importance, toute la préparation est rigoureusement mise en scène et nous plonge dans un univers fantasmagorique pour aboutir à l’accouplement intellectuel du couple Barney/Björk, sorte de consécration artistique de leur union. Parce qu’il semble réellement que le film leur soit dédié. J’irai même jusqu’à dire que Barney fait preuve de galanterie en nous présentant sa femme, je ne saurai trop dire comment mais je ne pense pas fabuler pour autant mais il semble que Barney reste humble dans son rôle d’invité alors qu’il met Björk sur un plus haut piédestal, c’est une reine plus majestueuse.

Le spectateur a un rôle délicat quant à cette exhibition car il peut difficilement entrer dans le film sans être voyeur.
Dans la forme évoquée dans le synopsis, on retrouve la vaseline chère à Matthew Barney. Cet élément organique paraît d’autant plus obscène à côté du soin recherché, ce contraste participe évidemment à l’esthétique du film. La vaseline ne dégoûte pas, elle ne paraît pas extérieure à nous, elle fait référence à nos propres fluides, elle est le reflet extérieur d’un en-nous organique. C’est pour cela qu’il glisse, coule et s’insinue dans chaque recoin si parfaitement.

La forme qui la contient c’est l’emblème, l’écusson de Barney. Ce n’est pas seulement une référence à lui-même en tant qu’artiste-star, comme le serait une simple marque de fabrique. C’est plutôt comme un rappel de la base de son travail. Cette forme, une sorte de gélule à plat (je voulais essayer de le décrire plus poétiquement avec deux arcs de cercle et quelques allusions plus métaphoriques mais au fond tout le monde sait à quoi ressemble une gélule) traversée au milieu par une bande, sorte de transept. Elle a la force d’un signe cette forme. Selon Barney, elle représente le sexe d’un fœtus âgé de 6 à 7 semaines alors que la différenciation n’a pas encore eu lieu. Il y a donc opposition par la bande mais unité du signe. Les invitations envoyées au deux occidentaux reprennent cette forme, mais on peut surtout la voir plus figurative dans l’affiche. Voilà, je pense que là, ça se passe de commentaires. Tout le blabla que j’ai pu vous faire plus haut est contenu dans cette affiche et même bien plus.

On parle donc d’androgynie, et encore, le terme est tellement connoté qu’il ne reflète pas suffisamment l’obsession de Barney quant à l’indifférenciation sexuelle (dois-je vous rappeler la définition de cremaster ?: mouvement descendant des testicules) , mais également d’hybridation. Cette hybridation permet entre autres d’intellectualiser la rencontre charnelle du couple.

Au-delà de toutes critiques, Drawing Restraint 9 est un film extrêmement riche en signification. Tout est tellement pensé que cela en devient vertigineux.
Juste un mot sur le contexte, le japon, le baleinier, les traditions… Il y a également un discours et une histoire sur la pêche à la baleine et sur ce bateau le Nishin Maru, je l’ai trouvé secondaire. Non pas qu’il soit pauvre mais il agit en tant que contexte, contexte extrêmement bien illustré mais seulement pour servir en tant que contexte. Avec les rappels tels que la forme de la gélule, la vaseline, il semble que l’univers de Barney pourrait s’implanter dans n’importe quel contexte, c’est tout un monde, Un monde dont on semble être coupé, on reste spectateur, et le spectacle nous renvoit à ce rôle.

J’allais oublier la musique de Björk qui colle parfaitement au film en s’inspirant du théâtre Noh, et en intégrant des anciens instruments japonais…Drawing Restraint 9 est un film complet. Je ne pense pas que ce soit le genre de film que l’on recommande. Je ne saurai pas dire si j’ai aimé, je ne regrette pas de l’avoir vu. Barney me dérange dans son esthétique nombriliste, il fait peur c’en est presque totalitaire comme univers. Mais sa vision forme un tout tellement étranger de ce que l’on connaît qu’il s’impose à nous.