Petit inventaire des diverses activités de la civilisation métrolienne le matin :
Il y a ceux qui dorment encore, quelques-unes tentent de parfaire leur maquillage, d’autres écoutent de la musique, certains ne font rien, les autres lisent. Tout le monde se jauge, on regarde dans le miroir de la blonde à paillettes pour constater que le mascara bleu, décidément ce n’est plus possible, on fredonne très intérieurement la musique qui émane du casque ambulant à notre droite, on lit par-dessus l’épaule de son voisin et on tente d’établir son portrait psychologique grâce au seul titre de son livre (comment ça, vous ne faîtes pas ça ?).
Moi, je lisais l’Origine du Monde, Histoire d’un tableau de Gustave Courbet.
Avec une petite reproduction en couverture. Je l’avais acheté dans le but de mieux connaître son exégèse. J’avais quelques restes de son histoire : commandé par Khalil Bey, également possesseur du Bain Turc d’Ingres, caché par un rideau de velours rouge, il s’était trouvé dans les mains de Lacan, célèbre psychanalyste avant d’atterrir au Musée d’Orsay. Un peu rapide, non ? Mes restes du lycée. Et c’était justement ça le problème, le lycée.
Je me rendais compte au fil de la lecture que je ne savais pas comment regarder l’Origine du Monde. On me l’avait présenté vers 15-16 ans, âge auquel soit vous pouffez, soit vous feignez de ne pas être offensé, mais vous êtes rarement subjugué par sa beauté car l’œuvre vous est présentée d’un point de vue historique, le rapport que vous entretenez avec elle n’est donc pas direct. Et depuis, j’avais conservé ce point de vue historique.
Quand enfin, j’allais la voir au Musée d’Orsay, j’étais d’abord confrontée à sa petite taille. Le tableau cessait d’être une image et devenait objet et je comprenais ainsi au-delà de toute théorie qu’on ait pu le convoiter en tant qu’objet de désir. J’imaginais le rideau puis l’autre cache en bois peint en trompe-l’œil par André Masson. J’imaginais son poids, je l’imaginais dans un intérieur plus personnel que ne l’est ce grand mur.
Je n’ai pas eu l’occasion d’aller revoir l’Origine du Monde après avoir lu le livre. Mais je me souviens d’une grande toile à ses côtés, l’enterrement à Ornans ?, je sais qu’il n’est pas loin. Les regards en biais des visiteurs qui feignaient de s’intéresser à la toile voisine. Il y avait ceux qui s’insurgeaient, les pères de famille qui éloignaient leurs enfants .Il y avait aussi ceux qui s’approchaient pour franchement examiner la toile avec dans leur attitude, une sorte de provocation du genre « moi, je sais, non je ne suis pas choqué », comme si en connaissant le tableau et son histoire, ils n’avaient plus aucune barrière et pouvaient aller au-delà de la contemplation. Et bien sûr, ils en rajoutaient. Ils ne considéraient plus le tableau comme objet de désir, c’était un nu historique à examiner et leur attitude face à la toile en devenait obscène. Mais n’est-ce pas là que réside l’ignorance ? A trop vouloir faire entrer l’œuvre dans la culture, on la dénature et elle perd son sens de l’interdit.
La toile n’est pas exposée dans un espace à l’abri des regards et le visiteur qui la contemple le fait à la vue de tous. Certains, même cultivés, sont certainement gênés devant cette toile et tente d’annihiler cette sexualité affirmée en examinant la toile, en la replaçant dans un contexte historique, en pensant que leur attitude mettra une distance mais elle ne fait que mettre en évidence cette gêne et rend celle-ci obscène.
Quant à savoir si l’œuvre doit être exposée autrement, ça n’est pas de mon ressort de répondre à cette question. Simplement, en l’exposant aussi ouvertement, le musée tente de la minimiser en la mettant sur le même plan que les autres toiles de Courbet.
La lecture du livre m’a permis de comprendre les différentes positions qu’ont eu ses différents spectateurs. Je dois avouer que j’ai survolé son histoire aux alentours de la deuxième guerre mondiale, mon but n’était pas de suivre le tableau à la trace.
Voilà. Et moi j’étais là dans le métro avec mon livre. Au début je ne le cachais pas, pensant qu’une grande majorité connaissait ledit tableau mais après quelques murmures « dis donc, qu’est-ce qu’elle lit la demoiselle ? » j’écrasais sa couverture sur mes genoux pour ne pas être dérangée. Quelques fois, histoire de sonder un peu mes co-passagers, je le sortais ouvertement. Je n’ai souvenir de personne ayant reconnu le tableau. C’est à cause du regard des gens dans le métro que j’en suis venue à me poser ces questions. Je pouvais me comporter comme ces personnes dont j’ai parlé plus haut et étudier l’histoire de l’origine du monde en affichant la une de mon livre. Mais le plus souvent j’ai préféré la cacher, que l’acte de lire soit déjà quelque chose de plus intime, plus secret et non soumis aux interprétations de mes voisins. Je prenais cela très à cœur. Je tenais à ce que ma position devant la toile soit contemporaine et non historique.
11 commentaires:
Qu'auraient penser les gens si tu avais lu L'origine de la guerre d' Orlan ?
J'ai à la maison un livre intitulé "Le nu dans l'art" qui va de Dürer à Bacon en passant par le Titien et Renoir. Ma petite nièce qui l'avait feuilleté disait à tout le monde que j'avais un livre de femmes nues...
dandylan:
Je ne pense pas qu'il y ait trop d'équivoque en ce qui concerne l'origine de la guerre d'Orlan. L'oeuvre est volontairement provocatrice, il n'y est plus question d'érotisme mais de genre. C'est une lutte lancé par le féminisme. L'image est forte mais tellement réductrice.
Ce qui m'intéressait au fur et à mesure de ma lecture, c'était de réfléchir à comment l'oeuvre était appréhendée par les connaisseurs, comment elle était appréhendée par eux intimement, comment ils arrivaient à se dépatouiller avec leur culture pour percevoir un sujet qui éveillait leur sensualité profonde.
C'est cette profondeur qui manque à l'origine de la guerre. Cette oeuvre est immédiate.
Alors ce qu'en auraient pensé mes voisins de métro? Bon déjà, essayons d'imaginer que je lise un livre sur Orlan, chose peu probable puisque vous avez compris qu'elle ne compte pas parmi mes préférés.Je crois que j'aurai eu très peur qu'on me prenne pour une féministe.
En tous cas merci de ce rappel, c'est vrai qu'on pense souvent à cette oeuvre d'Orlan, on peut dire qu'elle reste facilement en mémoire. Et ça m'a permis d'affiner ma réflexion, en espérant qu'elle n'a pas été trop confuse.
En tout cas, j'ai eu envie de lire ce livre en lisant ta note... Donc.
Dans 10 jours les vacances.
J'aime votre cheminement de penseés, Claires.
merci.
J'ai été tour à tour, je crois tout les spectateurs possibles de ce tableau et ne croi pas à l'heure actuelle être parvenu à trouver le bon ton, le ton juste pour regarder cette oeuvre. Un peu comme le Palomar de Calvino, j'ai passé et repassé devant la femme plus-que-nue trouvant ma retenue cuistre, ma désinvolture mal à propos, mon attention gourmande perverse... il s'en fallait sans doute de peu que le tableau lui même ne s'en ailles exaspéré par mon manège. Les oeuvres qui me touchent le plus, celle que l'on garderaient sur l'ile déserte, sont celles qui rendent chaque approche spécifique inapropos, chaque approche globale inoppérante. Mais auserais-je dire que ce tableau m'émeu parce qu'il me résiste?
Pardon pour les fautes d'orthographe dues à ma fatigue et la ponctuation abracadabrante.
enfant-phare:
ça me fait plaisir d'avoir pu te donner l'envie de le lire à ton tour.Je tiens malgré tout à préciser que ce ne sont que mes réflexions à partir de la lecture du livre et non un compte-rendu. Le livre est sérieux, c'est une étude approfondie qui a le mérite d'élever l'oeuvre du simple rang d'image à celui d'objet d'art.
seidrik:
merci, merci! :-)
pop corn:
tu es tout excusé pour les fotes! Je suis tout à fait d'accord avec ton analyse, moi aussi je suis passée par différents stades quant à mon appréhension de l'oeuvre et c'est cela qui la rend riche, qui fait qu'elle nous résiste comme tu dis.
..et pourtant c'et la vérité.
Mais si on mets un grand affiche avec une nana moitié nue, pour la pub d'un pneux, personne y trouve a redir...
Là c'est untableau avec une image crue, mais juste.
A quand la version imprimée de ton blog? Quelqu'un qui se déplace pour voir, qui lit, qui pose les questions justes et qui ensuite élabore une critique, que demander de plus?
A côté de toi sieur Bernard Blistène n'est qu'un cuistre et oupla j'opère deux génuflexions devant ta personne :d
anonyme:
Pas de version imprimée de ce blog pour la seule et bonne raison qu'il faut qu'il reste libre, il n'est pas encore bien fini, ni lui ni son auteure. Avec un blog, on peut essayer et se tromper, mes billets sont souvent de qualités inégales. C'est un lieu d'expériences qui m'aide à trouver mon ton.
C'est un peu trop les génuflexions, mes chevilles anflent mais ne sont enrichissants que les échanges.
On peut voir ce tableau, on peut aussi l'entendre, c'est ce qu'à fait le compositeur Tony Hymas compose dans sa suite intitulée "De l'origine du monde" qui utilise des textes de Courbet, Baudelaire, Pierre Dupont, Christian Tarting (chantés ou dits par Marie Thollot, Monica Brett Crowther, Nathalie Richard et Violeta Ferrer). Hymas voit et entend le lien entre la peinture de Courbet et la participation du peintre à la Commune. Les illustrateurs Daniel Cacouault, Simon Goinard Phélipot, Rocco, Stéphane Courvoisier, Zou, Eloi valat, Jeanne Puchol, Benjamin Bouchet, Sylvie Fontaine, Chloé Cruchaudet, Stéphane Levallois, Nathalie Ferlut ont participé au projet publié par les disques nato.
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