mardi 2 mai 2006

Drawing Restraint 9


Drawing Restraint 9
De Matthew Barney
Avec Björk et Barney

Drawing Restraint 9, déjà, qu’est-ce que c’est que ce titre ?
Un oxymore, drawing donne à la fois le sentiment d’un mouvement, d’un glissement d’une traction mais fait également référence à l’acte créateur du dessin, restraint, la restriction. Il y a donc un élan réfréné ou c’est peut-être cette restriction qui se fait mouvement. Un oxymore qui présage de la lutte de forces, un titre qu’on ne cherche pas forcément à comprendre en regardant le film mais qui se présente comme une nouvelle variation du travail de Barney sur les contradictions.

9, encore un cycle comme le Cremaster Cycle ? Je n’ai trouvé aucune information à ce sujet, et l’idée d’un cycle contrasterait avec ce sentiment d’unicité véhiculé par l’exaltante symbiose du couple Barney/Björk.

Le synopsis (dans le communiqué de presse):
« A bord d’un baleinier japonais dans la baie de Nagasaki, une énigmatique sculpture de vaseline est retenue par un dispositif de barrières pour en préserver la forme. Deux occidentaux sont accueillis à bord du navire, sont traités avec le plus grand soin, revêtus d’habits de fourrure inspirés des tenues de mariage de la tradition Shinto. Le vaisseau est pris dans un orage. Dans l’agitation, la sculpture perd sa forme et la vaseline liquide se répand. Dans leur cabine, les deux invités se trouvent prisonniers des eaux… »

L’univers de Barney, son goût pour le détail s’adapte parfaitement au soin apporté par la tradition japonaise quant à tout ce qui relève de l’ordre des préparatifs. Et ils ont leur importance, toute la préparation est rigoureusement mise en scène et nous plonge dans un univers fantasmagorique pour aboutir à l’accouplement intellectuel du couple Barney/Björk, sorte de consécration artistique de leur union. Parce qu’il semble réellement que le film leur soit dédié. J’irai même jusqu’à dire que Barney fait preuve de galanterie en nous présentant sa femme, je ne saurai trop dire comment mais je ne pense pas fabuler pour autant mais il semble que Barney reste humble dans son rôle d’invité alors qu’il met Björk sur un plus haut piédestal, c’est une reine plus majestueuse.

Le spectateur a un rôle délicat quant à cette exhibition car il peut difficilement entrer dans le film sans être voyeur.
Dans la forme évoquée dans le synopsis, on retrouve la vaseline chère à Matthew Barney. Cet élément organique paraît d’autant plus obscène à côté du soin recherché, ce contraste participe évidemment à l’esthétique du film. La vaseline ne dégoûte pas, elle ne paraît pas extérieure à nous, elle fait référence à nos propres fluides, elle est le reflet extérieur d’un en-nous organique. C’est pour cela qu’il glisse, coule et s’insinue dans chaque recoin si parfaitement.

La forme qui la contient c’est l’emblème, l’écusson de Barney. Ce n’est pas seulement une référence à lui-même en tant qu’artiste-star, comme le serait une simple marque de fabrique. C’est plutôt comme un rappel de la base de son travail. Cette forme, une sorte de gélule à plat (je voulais essayer de le décrire plus poétiquement avec deux arcs de cercle et quelques allusions plus métaphoriques mais au fond tout le monde sait à quoi ressemble une gélule) traversée au milieu par une bande, sorte de transept. Elle a la force d’un signe cette forme. Selon Barney, elle représente le sexe d’un fœtus âgé de 6 à 7 semaines alors que la différenciation n’a pas encore eu lieu. Il y a donc opposition par la bande mais unité du signe. Les invitations envoyées au deux occidentaux reprennent cette forme, mais on peut surtout la voir plus figurative dans l’affiche. Voilà, je pense que là, ça se passe de commentaires. Tout le blabla que j’ai pu vous faire plus haut est contenu dans cette affiche et même bien plus.

On parle donc d’androgynie, et encore, le terme est tellement connoté qu’il ne reflète pas suffisamment l’obsession de Barney quant à l’indifférenciation sexuelle (dois-je vous rappeler la définition de cremaster ?: mouvement descendant des testicules) , mais également d’hybridation. Cette hybridation permet entre autres d’intellectualiser la rencontre charnelle du couple.

Au-delà de toutes critiques, Drawing Restraint 9 est un film extrêmement riche en signification. Tout est tellement pensé que cela en devient vertigineux.
Juste un mot sur le contexte, le japon, le baleinier, les traditions… Il y a également un discours et une histoire sur la pêche à la baleine et sur ce bateau le Nishin Maru, je l’ai trouvé secondaire. Non pas qu’il soit pauvre mais il agit en tant que contexte, contexte extrêmement bien illustré mais seulement pour servir en tant que contexte. Avec les rappels tels que la forme de la gélule, la vaseline, il semble que l’univers de Barney pourrait s’implanter dans n’importe quel contexte, c’est tout un monde, Un monde dont on semble être coupé, on reste spectateur, et le spectacle nous renvoit à ce rôle.

J’allais oublier la musique de Björk qui colle parfaitement au film en s’inspirant du théâtre Noh, et en intégrant des anciens instruments japonais…Drawing Restraint 9 est un film complet. Je ne pense pas que ce soit le genre de film que l’on recommande. Je ne saurai pas dire si j’ai aimé, je ne regrette pas de l’avoir vu. Barney me dérange dans son esthétique nombriliste, il fait peur c’en est presque totalitaire comme univers. Mais sa vision forme un tout tellement étranger de ce que l’on connaît qu’il s’impose à nous.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Hello Claire,
de retour d'un petit we charmant avec un film dont j'apprécie au plus haut point que tu indiques "Je ne pense pas que ce soit le genre de film que l’on recommande. Je ne saurai pas dire si j’ai aimé, je ne regrette pas de l’avoir vu". Je ne l'ai aps encore vu mais ce simple fait lorsque l'on a vu les cremaster est significatif et à du sesn pour moi. Aussi, c'est là dessus que je vais aller voir, pour essayerd e comprendre un peu cette énigme étrange qu'est pour moi barney...

claire a dit…

Pour info à ceux qui désireraient voir le film, il n'est actuellement présenté que dans deux salles dans toute la France (selon allociné), une à Paris (le publicis des champs élysées) et une à Bordeaux. Le film ne bénéficiera pas d'une sortie en dvd, il est donc exclusivement présenté au cinéma. Faîtes-vous votre opinion.

Anonyme a dit…

A Bordeaux?? mais c'est chez moi ça! m'en vais me renseigner. Toujours aussi bien ton boblog.

Anonyme a dit…

Je l'ai vu à New York la semaine dernière et je suis sans doute une "petite nature", mais les scènes de dépeçage m'ont suffisamment dérangé pour que j'en oublie la beauté du film.

claire a dit…

hé oui, maintenant il faut aller soit à New York soit à Aix-en Pce pour voir le film...
J'ai essayé de faire abstraction des scènes de dépeçage, de digérer le film sans celles-ci que j'ai trouvées de trop. Trop longues. Le film a bien évidemment une temporalité qui lui est propre, des plans très longs sans paroles auxquels on s'habitue mais ces scènes m'ont paru encore plus longues, le temps de regarder autour de moi dans la salle et de voir les autres spectateurs se cacher les yeux, oui, moi aussi je l'ai fait en m'enfonçant dans mon siège. C'est peut-être pour cette raison que j'en ai plus facilement fait abstraction.

Anonyme a dit…

juste pour info le film est visible jusqu'au mardi 16 mai à aix en provence (renoir)