vendredi 12 mai 2006

Les Poissons d'Ingo Maurer

Ingo Maurer
Tableaux Chinois
1989-2006
Chaque moment est original


Je me baladais dans la nouvelle expo du Centre Pompidou, le Mouvement des Images quand SOUDAIN, (oui vous aurez remarqué que mes rencontres artistiques ou autres se font toujours soudainement ou peut-être que j’en rajoute un peu, bref, SOUDAIN) des poissons, des vrais.
Des poissons rouges.
Dingue.

Par chance, il y a plein de gens de mon école, tout le monde est venu voir la soirée des jeudi’s organisée par les étudiants en style des arts déco (Ensad, je précise, au cas où) à tous, je conseille d’aller voir ces poissons parce que c’est juste dingue.

Non, mais c’est vrai, vous avez déjà vu des animaux vivants exposés ? Oui, sûrement, mais j’ai beau cherché, pour moi c’est une première. Je ne savais même pas qu’on avait le droit. Ca y est, un flot de questions m’envahit, je me défoule sur le pauvre monsieur qui surveille à côté histoire qu’on ne balance pas quelques miettes dans le bassin plat. Je comprends vite qu’il me prend pour une militante pour les droits des animaux « Est-ce qu’on a le droit de les nourrir ? Qui s’occupe de ça ? Qui change l’eau du bassin ? S’il y en a un qui meurt, qu’est-ce qu’il se passe ? » mais je veux juste savoir si l’artiste a laissé des consignes quant à la conservation si j’ose dire de son œuvre. Parce que moi les poissons rouges…
Il ne sait pas.
Déception. J’en appelle à votre aide si vous en savez plus sur le sujet.

Ca me refroidit et je me rends compte que je n’ai même pas considéré l’œuvre en elle-même trop surprise que j’étais de voir des animaux vivants exposés. Elle rentre dans le champ de l’installation. Il y a le bassin à environ un mètre de hauteur et projetées perpendiculairement sur le mur, les ombres de ce dernier et ceci grâce à une caméra sous le bassin relayée par un haut projecteur. J’ai bêtement vérifié ce système en avançant la main au-dessus du bassin, un mouvement brusque mais retenu suivi d’un raclement de gorge du monsieur qui surveille qui me prenait toujours pour une folle m’a fait comprendre que je devais être plus discrète.

Le bassin est si peu profond que les poissons flottent presque en surface, ils nagent horizontalement. Ils sont donc toujours visibles par le spectateur et renvoient une lumière orange constante. Le bassin est surface et c’est pour cela qu’il fonctionne si bien avec son ombre projeté perpendiculairement sur le mur qui est une sorte de négatif. A cela s’ajoutent l’effet miroir, le jeu graphique grâce aux cercles concentriques dus au mouvement des poissons. Vous pouvez y voir de la poésie : une œuvre en perpétuel mouvement… comme c’est beau. Tout un univers graphique, chromatique, très chinois en fin de compte. Et il y a sûrement des éléments de signification qui m’échappent tels que le symbole du poisson dans la culture chinoise. Les miroirs ovales plutôt que ronds apportent une fluidité et une légèreté au mouvement et s’accordent parfaitement avec la queue argentée des poissons rouges. Oui, c’est beau, même si on décortique tout en parlant des reflets, du graphisme, ça reste beau.
Mais est-ce que c’est plus beau qu’un aquarium ? En quoi cette installation s’en différencie ? Je suis sûre qu’il existe des aquariums alliés à un système de projection tout aussi pointu chez des particuliers. Et pourtant il doit bien y avoir une différence qui va bien au-delà du fait que l’installation est présentée en tant qu’œuvre dans un musée. Il y a un glissement qui s’est fait, une rencontre entre les fameux tableaux chinois reprenant la symbolique du poisson, et l’aquarium trivial de Monsieur Machin (supposons que Monsieur Machin est quand même assez fortuné. Un rencontre faite, non pas sur une table de dissection mais dans le champ contemporain de l’installation.

Je n’ai pas de réponse. Mais je trouve ça génial toutes les questions qu’une installation comme celle-ci peut soulever. Il y aura toujours des gens pour s’indigner « mais comment ose-t-on présenter cela comme de l’art ? » et d’autres qui seront séduits.
Un autre point, c’est la durée, l’inscription de l’œuvre dans le temps. Sur le cartel : 1989-2006. On voit souvent des cartels à trait d’union (notamment dans l’expo Los Angeles à Beaubourg également) mais ils disent autre chose. La plupart du temps, l’artiste réalise une œuvre, nous avons la première date. Mais cette œuvre est plus l’illustration d’un concept que le résultat d’une action finie. C’est donc le concept qui fait trait d’union car, dans le cadre d’une nouvelle exposition, l’œuvre est non pas copiée à partir de la précédente mais plutôt re-présentée avec toujours comme point de départ ce concept.
Avec les tableaux chinois d’Ingo Maurer, on oublie de temps de la re-présentation, le « re » indique un temps fini alors que les tableaux chinois parce qu’ils intègrent des poissons vivants produisant un mouvement perpétuel, sont dans une continuité. Même s’il y a sûrement des temps où l’installation est vide, sans poisson, le mouvement et le vie des poissons lors de son exposition induisent un sentiment de continuité au-delà du concept. Le sous-titre de l’œuvre fait d’ailleurs référence à cette continuité en mouvement : chaque moment est original. Une sorte d’axiome.

Cette œuvre a eu le mérite de m’intriguer. Je ne sais pas si on peut dissocier la poésie qu’elle véhicule du fait que c’est quand même dingue de voir de poissons vivants dans un musée. Est-ce que le but de l’œuvre n’est pas manqué si la première chose que l’on remarque ce sont les poissons ? La poésie n’est-elle pas contredite par l’aspect spectaculaire de voir des poissons rouges ?

Une dernière question : comment se fait-il que le bassin soit si propre ?

10 commentaires:

Anonyme a dit…

L'idée des poissons rouges a l'air assez séduisante. Si j'ai un peu de temps, j'essayerai de voir cette expo.

Parmi les pièces qui ont récemment mis en scène des animaux vivants : l'installation "Flying Rats" de Kader Attia, présentée à la dernière biennale d'art contemporain de Lyon. Placés dans une cage, une centaine de pigeons de ville dévoraient une quarantaine de mannequins d'enfants en mousse et graines... Une oeuvre qui apparement a scandalisé beaucoup de personnes.

claire a dit…

Mais oui, Flying Rats de Kader Attia, pourquoi je ne m'en suis pas souvenue?
C'est peut-être parce que je ne l'ai pas vue, mais on en a tellement parlé, moi y compris dans un article sur neutral art. Est-ce que c'est parce que j'ai du mal à considérer les pigeons comme des animaux? oui, ce n'est pas très original, mais je n'aime pas les pigeons.
J'aurai sûrement eu une autre opinion si je l'avais vue en vrai. Mais si je n'ai pas fait le rapprochement, c'est peut-être parce que les deux oeuvres ne sont pas présentées dans le même contexte, ni de la même manière. Je ne vais pas revenir sur la polémique qu'a suscité Kader Attia, c'est la manière dont les pigeons sont présentés qui m'intéresse.
L'oeuvre d'Ingo Maurer est présentée dans la sobriété, une poésie légère. Rien dans sa présentation ne dit "wouah, des poissons, des vrais" alors que je pense que l'emphase plus importante sur les pigeons de flying rats. Les poissons d'Ingo Maurer sont intégrés comme élément plastique de l'oeuvre presque au même titre que le système de projection.
Pas mal cette comparaison, ça peut vous sembler confus mais j'avance, je débroussaille mon flot de questions.
Merci pour le rappel.

Anonyme a dit…

Hello Claire!
regarde un peu ce lien... au sujet de tes poissons chinois.
Toujours aussi bien ton blog. Pour ta photo, je crois que tu peux baisser le bras, t'es bien jolie, ça se voit.
Bonne continuation.

Anonyme a dit…

si je mets pas le lien ça le fait pas??? pffff un cerveau de poisson rouge celle-ci ! http://www.fredericboudin.com/

claire a dit…

enfant-phare: merci pour le lien, la photo rappelle beaucoup l'installation d'ingo maurer: des poissons, des ombres, une eau claire, et un bassin propre. Ingo Maurer dépasse le temps arrêté de la photo en présentant des poissons vivants. Chaque moment est original.
C'est marrant, moi je connais des gens qui se cachent derrière un appareil photo... ;-). Arf
Bonne continuation à toi aussi.

Anonyme a dit…

Voilà c'est fait, tu m'as convaincu. Je suis allé voir l'expo hier après-midi (en règle générale, je l'ai beaucoup aimée) et j'ai recherché cette oeuvre.

e rejoins ta position, c'est vrai qu'il s'agit d'une œuvre d'une incroyable poèsie, en perpétuel mouvement, très japonisante ou chinoise. L'eau était toujours d'une admirable limpidité. Magnifique !
Ravi que tu aies attiré mon regard sur cette oeuvre.

claire a dit…

tatalalatala! Petite victoire personnelle si j'ai réussi à attiser ta curiosité. En espérant que tu ne sois pas le dernier!

Anonyme a dit…

J'irai voir aussi.
A défaut d'animaux, il y avait, il y a quelques années à Beaubourg, une installation avec une laitue, changée périodiquement, toujours fraiche...

claire a dit…

Oui, cette question du renouvellement pose problème même avec le végétal.
Il y a deux ans, alors que j'étais en stage d'été au musée Picasso d'Antibes, était présentée l'oeuvre de l'artiste contemporain Jean-Pierre Bertrand. Une de ses installations avait un rapport avec la chapelle de salpétrière, ne m'en demandez pas plus mon souvenir est un peu flou. Bref, au centre, un citronier sur un miroir octogonal posé au sol. Sur chaque côté, un demi-citron. Le citronier n'avait été présent que le soir du vernissage et retiré ensuite pendant le reste de l'expo parce que ses feuilles pouvaient être blessantes et les demi-citrons n'étaient pas changés très régulièrement (je m'étais bien proposée mais non ce n'était pas à moi de le faire). Bref, l'installation se résumait à un miroir octogonal sur lequel pourrissaient Huit demi-citrons. Les touristes venus voir Picasso se maraient, les visiteurs un peu plus sérieux pensaient avoir affaire à une réflexion sur le pourrissement progressif. J'étais outrée de me rendre compte que l'artiste laissait son oeuvre présentée ainsi, à l'opposé de son intention initiale.
Bref, une longue anecdote, à laquelle j'ajoute ma petite mésaventure devant l'oeuvre de James Turrell présentée à l'atelier Brancusi sur laquelle s'était posé un bon gros mouton de poussière, tout ça pour dire que l'oeuvre n'est pas aseptisée, qu'elle évolue dans la même atmosphère que nous, qu'elle subit le temps et l'air. Un oeuvre n'est pas propre, elle se salit, se désintègre(je reste en dehors du débat sur la restauration des grandes toiles)et le musée doit en tenir compte. Presenter des citrons pourris comme présenter les excréments des poissons d'ingo maurer, serait enlever sa part de magie à l'oeuvre.
Oui, voilà, une telle oeuvre ne doit pas avoir l'air propre mais immaculée et c'est pour cela qu'elle ne doit pas laisser deviner son désagrègement ni sa restauration. Elle serait trop terre-à-terre. Le désagrègement de l'oeuvre doit donc être pensé au préalable .
Ceci vaut pour les trois oeuvres citées et peut évidemment être réfuté dans un autre cas.

Anonyme a dit…

Je tombe par hasard sur ton blog que je trouve fort intéressant.
J'ai vu l'exposition dont tu parles avec un guide (j'accompagnais une classe d'enfants). J'ai ADORE les tableaux chinois d'Ingo Maurer moi aussi. Pour info, les poissons sont très bien traités, et depuis le début de l'exposition, aucun d'entre eux n'est mort. L'eau est régulièrement changée et traitée.

Il y a eu une exposition avec des poissons rouges il y a quelques années aux Etats Unis où les visiteurs avaient la possibilité d'appuyer sur le bouton du mixeur qui leur servait d'aquarium...