vendredi 14 avril 2006

Mark Rothko La réalité de l'artiste




Mark Rothko
La réalité de l’artiste



Ca faisait quelques semaines que je les voyais en librairie la réalité de l’artiste et écrits sur l’art (couverture noire) j’hésitais toujours au dernier moment, il y avait toujours autre chose à lire. Mais la semaine dernière, je l’ai acheté, ça y est.

J’ai finalement opté pour la réalité de l’artiste parce que c’est un manuscrit inachevé alors qu’ écrits sur l’art n’est qu’un recueil de textes et autres lettres éparses et j’avais eu le malheureux hasard de l’ouvrir sur la page où il écrivait à Barnett Newman que sa femme était enceinte, je m’étais dit qu’un échange épistolaire entre Rothko et Newman pouvait être plus riche que ça.

J’avais lu quelques mots de Rothko dans je ne sais plus quel catalogue de musée, sur le fait que les couleurs sont comme les acteurs d’un tableau, qu’elles interagissent entre elles, toute une référence à l’univers du théâtre …Je m’attendais avec la réalité de l’artiste à quelque chose de très « expressionnisme abstrait ». Eh oui, qui n’est pas fan de ces grands color fields ?

Oui, mais non, le manuscrit n’a été rédigé que vers 1940. Une quinzaine d’années avant la période dite expressionnisme abstrait.
Je découvre un Rothko que je ne connaissais pas, d’abord grâce aux reproductions au milieu de l’ouvrage mais aussi dans ses références. L’antiquité, la Renaissance, seulement quelques artistes du Xxème en fin d’ouvrage, Beaucoup de psychanalyse, la manière dont un enfant perçoit l’art, comment un artiste peut en arriver à produire tel art…

C’est intéressant de voir à quel point, transparaît la personnalité de l’artiste dans ce livre. Ce n’est pas vraiment un manifeste mais il y a engagement. Il n’y a pas cette distance qu’on trouve dans les livres théoriques sur l’art, Rothko s’approprie ses références, il les porte et s’implique dans son discours.

Il aurait mis sa pratique picturale en suspend pendant un an pour écrire ce manuscrit, comme si à ce moment-là, il ne pouvait peindre et devait passer par l’écrit. Il est dit que l’écriture du livre a permis d’aller vers les futures abstractions qui firent sa renommée. On est dans un avant, quelque chose se prépare.

Quelques lignes de l’introduction de Christopher Rothko : « Il nous parle de ce que fait l’artiste, de ce qu’est son rapport aux idées, et de la façon dont il s’y prend pour les exprimer. » L’introduction est un peu longue, et elle donne le sentiment qu’un écran est posé entre le manuscrit et le lecteur, ce n’est pas Mark Rothko que l’on lit directement mais Mark Rothko relu et corrigé pendant x années. J’aurai peut-être préféré la lire après le livre.

Rothko commence sur un ton un peu geignard, sur le statut de l’artiste mais c’est comme une mise en jambe : il pose les bases de sa relation aux autres en tant qu’artiste.

« Sentir la beauté c'est donc participer à l'abstraction à travers un agent particulier. En un sens, c'est un reflet infini de la réalité. Car si nous connaissions l’apparence de l’abstraction elle-même, nous ne ferions qu’en reproduire l’image . »

« Un tableau est l’énoncé par l’artiste de ses notions de la réalité dans les termes de discours plastique. En ce sens, c’est au philosophe plutôt qu’à l’homme de science qu’il faut comparer le peintre. »

quelques passages m’ont été plus difficiles à décortiquer :

« En vérité, l’équilibre entre pragmatisme et rationalité découle de notre acceptation de la relativité, dans laquelle les alternances du rationnel et du dogmatique constituent un modèle dans lequel nous pouvons reconnaître les rythmes de la vie. »

Rothko emploie un vocabulaire bien précis qui est souvent difficilement traduisible et on le sent malheureusement dans la traduction, comme quand on regarde un film en vf. Les mots ne sont pas aussi bien appuyés, atmosphère est bien plat à côté de mood , et contenu pour subject matter ? (Ces mots sont donnés entre parenthèses au lecteur).


Alors en allant farfouiller sur Amazon, je tombe sur l’édition en anglais. Et cette couverture ! C’est celle du manuscrit original (reproduite en noir et blanc dans la réalité de l’artiste). Elle a définitivement plus de caractère. Pourquoi n’avons-nous droit qu’à cette couleur beige-maronnasse ? Et l’œuvre reproduite en couverture date de 1957 bien après la rédaction dudit manuscrit. Non, je suis déçue , déçue. Ne faîtes pas la même erreur que moi, achetez-le en anglais (si vous êtes fluent, cela va sans dire).
Du coup, je vais peut-être acheter Ecrits sur l’art, certains sont plus contemporains de la période qui m’intéresse chez Rothko et je crois qu’il ne parle pas que de la grossesse de sa femme.

7 commentaires:

e-ko a dit…

J'ai vu une immense expo de Rotko, à Paris, em 1971, où se trouvre maintenant le Palais de Tokyo. L'impression est restée tellement forte que je peux fermer les yeux et voir toutes ces lumières.

http://e-mago.blogspot.com

claire a dit…

J'aurais aimé y être. Trop jeune, j'ai loupé toutes les grandes rétrospectives,et n'ai eu d'expériences devant un rothko que ponctuellement, un musée d'art moderne n'en présente toujours qu'un ou deux, parce que Rothko est un classique désormais.Je ne l'ai trouvé réellement mis en valeur que dans cette salle rouge de la tate modern.
Est-ce qu'il y aura d'autres rétrospectives? Pas à ma connaissance.
Peut-être que la page de l'expressionisme abstrait a été tournée...arf, ce n'est pas à monâge que je vais être nostalgique!
Merci de votre commentaire e-konoklasta, un blog quasi bilingue portuguais-français

Anonyme a dit…

thanks for visiting my place..i'm answering you here as regarding what you've said about this line:
when looking at Google search results for "to make the invisible visible"
i got so many diverse results, none of which at first can revel who said it originally, but it sure can take me to some other discoveries....and that i like :) please let me know who said it first...

claire a dit…

En me balladant de blog en blog, je suis tombée sur celui de moon, allez-y très sympa. Un de ses billets parlait de cette fameuse citation "rendre visible l'invisible" qui était attribuée à léonard de Vinci, je pensais qu'elle venait de Klee ou Merleau-Ponty, y'a-t-il d'autres suggestions?
Quoiqu'il en soit je vais me replonger dans mes bouquins et le prétexte est plutôt bien venu.

claire a dit…

la dilettante:
merci pour ces précisions, je n'ai pas pu trouver d'illustrations sur le site de la fondation beyeler. Je voudrais pouvoir y aller et m'y promener ...
Votre billet sur le concert en hommage à Rothko donne également envie. Une belle rencontre entre peinture et musique apparemment
merci
à bientôt

Anonyme a dit…

Bonjour,

J'ai pris beaucoup de plaisir à lire vos commentaires (je me suis contenté de parcourir - pour l'instant - "juste un livre?"). Si vous souhaitez vivre les "champs de couleur" de Rothko, avoir un vrai rapport d'intimité avec ses toiles; il faut absolument que vous alliez à la Tate Modern de Londres. Comme vous le savez surement, une salle laissée dans une relative pénombre est consacrée à Rothko. La confrontation avec les peintures de Rothko peut véritablement conduire à un état de "méditation". Les toiles vous absorbent autant que vous les absorbez. Echange de couleurs. Pas de violence. Beaucoup à ressentir, à dire.

P.S: Il me semble que c'est Klee qui a écrit: "L'art ne reproduit pas le visible; il rend visible".


En espérant avoir à nouveau le plaisir de vous lire,
Amicalement,

V.

Anonyme a dit…

J'aime Rothko, je vis d'art (je suis cinéaste) mais je saute au plafond en lisant que vous vous attendiez à ce qu'un échange épistolaire entre Rothko et Newman soit plus riche que d'annoncer que sa femme est enceinte ! Je suis choquée : ce n'est pas riche d'attendre un enfant ? Je tiens à préciser que ne suis pas enceinte, que je n'ai pas d'enfants, que mon indignation a surtout un rapport avec l'art : mais de quoi croyez-vous que l'art se nourrit si ce n'est de la vie, de la chair ?